ON AIMERAIT TANT Y RETOURNER

Quand, en période de rentrée scolaire, une ancienne photographie resurgit tout à coup du passé, on se dit un bref instant, qu’à cette école-là, on aimerait tant retourner. Nos souvenirs sur papier glacé à bords crénelés sont certes un peu grisés, mais les couleurs de ces jeunes années, tout au fond de nous, subitement, se trouvent ravivées. On se plait à rêver un voyage dans le temps, mais ce dernier ne se laisse guère remonter. Il conserve jalousement les clefs de nos secrets, que nous avons tous, un jour ou l’autre, bêtement égarées. Alors, on ré-examine, pour la énième fois, le cliché noir et blanc des années soixante. On tente de raccrocher des noms sur des visages. On s’en veut de ne pas pouvoir en identifier davantage. Combien demeurent encore dans ce petit village ? Combien ont disparu ? Combien ont aujourd’hui accompagné leurs enfants ou leurs petits enfants sur le chemin des écoliers ? Tant de questions se bousculent dans la cour de nos oublis et s’ennuient, suspendues à leurs points d’interrogation. Pour nous, la distribution des bons points, depuis bien longtemps, est terminée. Seules subsistent des images qui ne veulent pas s’effacer.

L’EAU ET LE FEU

Certaines images sont à la fois attrayantes et déroutantes. On ne sait si l’on doit s’émerveiller ou s’inquiéter. J’éprouve parfois cette impression contrastée devant un coucher de soleil et ses couleurs venues d’ailleurs. La sensation est décuplée lorsque l’eau et le feu se rejoignent et se mélangent. Leur mariage spectaculaire fait ressortir les traits de lumière comme les zones d’ombre. Lesquelles seront prédominantes au bout du compte ? La nature, après que l’homme se soit chargé de copieusement la saccager, lui fournira sans doute la réponse. Pas sûr que celui-ci ait alors l’envie, ni le loisir, de l’apprécier.

DANSER DANS LE NOIR

Une voix, une guitare, une vibration, une palpitation, une émotion… Une longueur d’ondes, douce et fragile, qui se transforme en implosion sentimentale et dynamite doucement le cœur, jusqu’à consumer l’être tout entier. On ne peut réfréner ce langoureux et profond embrasement sans faire couler quelques larmes. Et si celles-ci s’épanchent à l’extérieur, c’est que l’on n’a peut être envie d’étouffer ce délicieux incendie à l’intérieur.

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EN PÉRIGORD NOIR

Plus que jamais, depuis quelques jours, seules comptent les nuits. Isolée en pleine nature, au cœur du Périgord noir, sans aucune pollution urbaine, je guette la pâleur sans cesse redécouverte d’une lune incomplète. Ses altérations prévisibles et ses apparitions imprévisibles la nimbent d’un mystère familier, dont elle est à la fois l’élément central et le décor théâtral. Réminiscence ancestrale, elle fait partie de nous avant même notre naissance. Son influence est permanente. Ici, entre nuages blafards et frondaisons obscures, elle sait jouer d’un double rideau d’artifices qui contraste les sentiments les plus variés et les plus intimes. On ne peut jamais prédire le rayonnement qu’elle prodigue, au propre comme au figuré. À chaque fois, je la laisse me porter, m’emporter, plus loin qu’elle ne le devrait. Je me retrouve là où l’on se perd. Et je ne sais plus qui de la nuit qui s’enfuit, ou du jour qui la renie, rend la lune encore plus fascinante et fragile.

VOÛTE CÉLESTE

C’était une nuit sans lune
Mais je la voyais quand même
Comme une ancre sous ma plume
Un pont entre elle et moi-même

C’était un duo virgule
Un mariage entre éléments
Qui m’intrigue et me régule
Sans savoir pourquoi comment

C’était l’extase et l’ennui
La vie et beaucoup d’espoir
Un peu de joie qui s’enfuit
Une flamme dans le noir

C’était une nuit sans lune
Entre songe et sentiment
Parenthèse qui s’allume
Qui m’enivre et qui me ment.

HEURIPILANTE !

Cela fait 48 heures que je cours partout comme une dératée en me demandant pourquoi je manquais tous mes rendez-vous, professionnels ou privés. J’avais l’horrible impression d’être constamment transpercée par les aiguilles d’un temps perdu qui ne cessait de m’obséder. J’étais traquée, pourchassée, capturée, torturée dans et par un cercle vicieux dont il semblait impossible de pouvoir un jour s’évader. Je me sentais harcelée par les horloges du monde entier, prisonnière d’un sablier qui refermait ses portes spatio-temporelles sur mon pauvre corps et mon esprit dérangé. Je viens seulement de comprendre que nous avions changé d’heure ce week-end.

UNE BONHOMMIE OUBLIÉE

La neige a fait une timide apparition dans quelques départements français en cette première semaine de mars, mais son blanc manteau est vite parti en lambeaux. Il n’a pas tenu bien longtemps, suffisamment toutefois pour faire resurgir des souvenirs d’enfance. Le blanc, et le repos feutré qui l’accompagne, change tout. Il déroule en silence un tapis qui se met en boule dans la joie et les cris. Des boules de toutes les tailles, des petites, des grosses, des qui craquent, des qui giclent, des qui explosent, des qui enflent, des qui collent, des qui roulent, des qui se superposent et se métamorphosent. Des qui suivent leur bonhomme de chemin.

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OBJET TROUVÉ

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Le Gant Perdu

C’est un gant perdu sur le pavé parisien,
Qui, d’un doigt ambigu, me montre le chemin.

Dois-je l’ignorer, l’appréhender, le faire mien ?
Pour m’intriguer, en tous cas, il y met du sien.

Est-ce un hasard qui me l’a jeté au visage ?
Devrais-je le relever malgré mon grand âge ?
Et aller jusqu’au duel, comme il est d’usage ?
Il se mue soudain en un bien mauvais présage.

C’est un gant perdu, ni de boxe, ni de crin,
Hier sur un guidon chromé ou tout terrain
,
D’un jumeau orphelin à jamais, je le crains.
Où donc erre la main dont il était l’écrin ?

Je tourne les talons, d’un pas peu élégant,
Fuyant cet objet intrigant et pauvre gant.
Entre détresse et solitude navigant,
Il embarque mon tourment sur son toboggan.



HIP HIP HIP BIRTHDAY !


« À quoi tu pouvais bien ressembler quand tu avais vingt ans ? Comment tu te maquillais en jeune trav ? C’est une question que je me suis souvent posée… » me demandait l’une de mes meilleures copines, de trente ans ma cadette, en léchant les bougies qu’elle retirait avec précaution d’un gros gâteau trop crémeux à mon goût. J’ai exhumé de mes archives cette photo prise par un ami très cher, aujourd’hui disparu. « La vache ! me dit-elle, t’aurais pu être une top escort internationale ! À Monaco, Dubaï ou Genève, t’aurais fait un carton »… Pan ! Champagne pour tout le monde !

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JEUX DE MAINS

© Photographie Pascal Ito


Qu’on s’étire le matin, qu’on dise «non merci, jamais de pain» avec le gratin, qu’on en tende une pour le baisemain, qu’on garde l’autre pour demain, qu’on les agite ou les dissimule, qu’on les ferme pour montrer les poings, qu’on les ouvre en les levant bien haut devant un bandit de grand chemin, nos mimines sont des mimiques qui, souvent, en disent plus long que notre mine. Parfois, en certaines inversions, on dirait même que les mots que nous prononçons, comme les expressions que nous affichons sur nos visages, ne font, en définitive, que leur prêter main-forte.