GUITARISTE MASQUÉE
…
Elle navigue entre mystère et virtuosité. Son visage est toujours dissimulé derrière un masque blanc évoquant la Chine ou le Japon, et toutes les légendes du soleil levant. Que cache ce faciès nivéen et figé ? De son ovale lunaire n’émergent que deux zones de contraste. L’une habille de vermillon des lèvres à jamais immobiles, maquillées telles des vraies. L’autre, plus sombre, figure un regard perdu car invisible. Deux traits fins, aussi acérés et inquiétants que des flèches, surlignent les deux amandes découpées à même le masque, à l’ombre desquelles se terrent les yeux de l’artiste. On ne les verra jamais, cette dernière prenant bien soin de toujours incliner son visage inerte vers le bas. Comme si cela ne suffisait pas, une frange asiate, savamment dégradée, ajoute un rideau défensif supplémentaire. On l’aura compris, la jeune guitariste veut bien être connue mais pas reconnue.
Nacoco, le pseudonyme artistique qu’elle a choisi, a la consonance et la saveur de la noix de coco, en français comme en japonais, ou en anglais. Jeune autrice compositrice de 26 ans (elle est née le 3 juin 1998), cette guitariste coréenne est une autodidacte qui a perfectionné son art sur internet. Ayant appris à jouer de la guitare électrique grâce à des vidéos sur YouTube, elle y a ensuite exposé des reprises de chansons d’animation japonaises. Le succès tardant à venir, elle faillit tout arrêter jusqu’à ce que l’une de ses reprises mette le feu aux poudres. Depuis deux ans, elle publie au rythme effréné d’une mise en ligne tous les 5 à 6 jours. Elle s’est attaquée à différents styles musicaux, des Eagles à la K-Pop, en passant par Queen, Eric Clapton, Gary Moore ou les Red Hot Chili Peppers, mais son domaine de prédilection demeure le hard rock et le heavy metal. Les noms qui émaillent son répertoire en témoignent : Kiss, Metallica, Scorpions, Judas Priest, Iron Maiden, Motley Crue, Ozzy Osbourne, X Japan… Cela ne lui interdit pas pour autant les explorations hors piste.
Les deux performances livrées dans les vidéos présentes illustrent parfaitement cette diversité. L’adaptation rock du fameux canon en ré majeur pour trois violons de Johann Pachelbel, compositeur et organiste allemand du dix-septième siècle, côtoie la reprise du très actuel tube k-pop de Rosé et Bruno Mars : APT ! À chaque fois, Nacoco livre une interprétation prouvant sa dextérité et son attractivité. Ses doigts virevoltent sur les cordes avec une efficacité redoutable, dans les aigus comme dans les graves. Elle multiplie les stimuli. La jeune virtuose s’y entend pour nous entrainer à regarder comment écouter. Elle juxtapose aussi les paradoxes, notamment celui d’une femme sans visage, qui masque toujours sa frimousse mais dévoile souvent son corps. Certaines vidéos la mettent en scène vêtue de sous-vêtements sexy très minimalistes, voire de maquillages peints à même le corps. Exhibitionnisme fragmenté ? Culture du buzz et course au nombre de vues sur internet ? Peut-être… Ou alors, comme beaucoup d’artistes, un désir profond de se livrer au maximum, tout en se préservant un minimum.
…