LES CHI(N)EUSES

C’EST PAS CHINOIS

Il y a, à Paris, des rencontres fortuites qui suscitent sourire ou interrogation, et aiguisent la curiosité. Rue Saint-Bernard, dans le onzième arrondissement, une enseigne singulière surmonte la devanture étroite d’une petite boutique de brocante. On peut y lire : Les Chi(n)euses. Surgissent aussitôt plusieurs questions. Ces parenthèses amusantes s’adressent-elles au propriétaire ou à la clientèle de l’établissement ? Ou peut-être même aux deux ? Leur auteur est-il masculin ou féminin ? Auto-dérision ou misogynie ? Et ce mot “chineuses”, d’où vient-il exactement ?

Le passant amusé poursuit sa route avec, accroché à ces points d’interrogation, l’envie d’en savoir davantage, et, très probablement, la tentation de pousser un jour la porte vitrée de la boutique. L’enseigne originale a parfaitement rempli son rôle. De retour à mon domicile, je me suis précipité sur mes dictionnaires avec une autre question. Je savais que le mot “chineur” désignait un brocanteur ou une personne cherchant à acheter et vendre des objets d’occasion, mais provenait-il du verbe chiner, désignant l’action de teindre ou tisser une étoffe en alternant des composants de différentes couleurs ? Dans ce cas, quel rapport avec la brocante ? Le dictionnaire historique de la langue française fournit la définition suivante : « Chiner : verbe d’origine douteuse, est probablement l’altération par aphérèse (réduction du mot par l’avant) de échiner, “fatiguer les reins”, le terme semblant venir du langage des colporteurs dont le fardeau pesait sur l’échine. D’abord argotique, le mot signifie « acheter et revendre de lieu en lieu », en parlant du colporteur, du brocanteur, puis aussi « chercher des occasions », en parlant de l’amateur de brocante. Le sens transitif de critiquer et railler (1878) se comprendrait lui aussi d’après un emploi figuré de “échiner”, “maltraiter par des propos” ou procéderait de l’idée de “marchander en disputant”. » Personnellement, je n’ai jamais marchander en disputant, ni même en discutant. J’ai horreur de ces négociations et palabres qui sont, paraît-il, une coutume et un plaisir dans certains pays. En revanche, j’ai souvent marché en discutaillant avec moi même et cette enseigne, avec ses parenthèses en clin d’œil, m’en a procuré une magnifique occasion.


Quelques semaines plus tard, je suis repassée devant “Les Chi(n)euses”, en plein crépuscule hivernal. De la boutique, émanait une chaude lumière et une impression de sas nostalgique, d’antichambre donnant sur des rêves passés, mais pas tout à fait oubliés. Les objets exposés ressemblaient à des cadeaux de Noël. Ce n’était pas l’envie, mais le temps, et aussi un peu l’argent, qui me manquaient afin de me risquer à l’intérieur. Je me connais bien. À l’instar d’un ami très cher qui est incapable d’entrer dans une librairie sans en ressortir avec plusieurs livres sous le bras, j’aurais pu commettre une folie. Entre temps, en allant fouiner sur internet, j’avais appris que cette échoppe était l’antre de deux mordues de design vintage, Anne et Dominique, qui avaient décidé, en novembre 2013, de faire de leur passion leur métier. Objets de caractère, luminaires, accessoires et mobilier emblématiques des années 1950-1970, composent un univers quasi-onirique dans lequel elles évoluent, conseillent et accompagnent les amateurs éclairés comme les profanes ingénus. Étant, comme à mon habitude, plutôt intermédiaire en la matière, j’aurais sans doute eu grand plaisir à prendre langue avec ces “Chi(n)euses” d’un autre genre, mais j’ai préféré m’éloigner en abandonnant ce présent du passé à un possible du futur. Comme, légèrement différée, une parenthèse à ouvrir. Ou à refermer.

One thought on “LES CHI(N)EUSES

  1. Brigitte y passe ses nuits. Nuits de Chine, nuits câlines, nuits d’amour ! dit la chanson. Comment y a-t-elle réfreiné sa folie d’achats compulsifs ? Elle ne le dit pas. Pourtant, la recette pourrait servir à ce pauvre ami qui ne peut s’empêcher de sortir d’une librairie avec un tas de bouquins dans les bras. Il n’y a pas de vertu, il n’y a que des circonstances…

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