ALDOUS HUXLEY

ÉCRITS PRÉMONITOIRES


Aldous Huxley (1894-1963) fut un écrivain, romancier et philosophe britannique, qui produisit une cinquantaine d’ouvrages, dont l’incontournable roman d’anticipation dystopique : “Le Meilleur des Mondes”. Ce livre, que j’ai dévoré durant mon année de Terminale, est remarquable en tous points. Écrit en 1931 et publié en 1932, il expose déjà les travers et les excès d’une société qui, hélas, ressemble fort à un modèle que nous connaissons bien aujourd’hui. En est extraite la citation ci-dessus, qui donne une idée très significative de sa teneur générale.

Humaniste et pacifiste à tendance satiriste, reconnu comme l’un des intellectuels majeurs de son temps, ce cher Aldous a développé et étayé son sujet de manière implacable dans le passage suivant :

« Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente.  Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra plus à l’esprit des hommes. L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées.

Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif. Surtout pas de philosophie.

Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, par la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser.

On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté.

Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur (qu’il faudra entretenir) sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur. L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. »

Balaise et visionnaire, non ? Ces quelques lignes, qui, rappelons-le tout de même, ont été publiées il y a tout juste 90 ans, sonnent comme un terrible constat, doublé d’une analyse dont la pertinence et les prolongements font froid dans le dos. Est-il nécessaire de leur ajouter quoi que ce soit ? Sinon un simple : « Well Done, Dear Aldous » !

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