GET BACK : HYMNE TRANS !
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En mai, fais ce qu’il te plaît ! Début mai 1970, les Beatles ont fait ce qu’ils ont voulu, et cela m’a fortement déplu. Ils ont annoncé leur séparation. J’étais beaucoup trop jeune pour saisir alors toute la dimension dramatique et sans appel de l’événement. On ne devrait jamais grandir. Depuis, cette période invite toujours, à un moment ou un autre, quelque vague bouffée de nostalgie. Une sorte de mélancolie sournoise, première grande désillusion lycéenne, rappelle inexorablement que toute évasion a une fin. All things must pass…
Cinquante ans plus tard, ce balancement anniversatile exhume le même trouble ambigu. Ambigu est d’ailleurs le concept d’anniversaire. À certaines époques de notre vie, on l’attend avec impatience, on le fête en famille ou entre amis, on le savoure sans arrière-pensées. À d’autres périodes, on esquive l’échéance. On se fait discret. On tripatouille le nombre des bougies. On oublie la date fatidique en espérant que les autres feront de même. C’est sans compter la mémoire du passé et celle de nos contemporains. Et leurs présents d’anniversaire. On retourne toujours d’où l’on vient.
Retourne d’où tu viens, en anglais, cela donne : Get Back… Get Back to where you once belonged. Ce méga-tube des Beatles, sorti en avril 1969, aussitôt n°1 en Angleterre, en Allemagne, en France, en Australie, aux USA, au Canada… fit un carton. Un big one, avec une intro qui martèle un rock-blues stylisé, combiné à un refrain percutant.
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Get Back, tout le monde connaît. Beaucoup l’ont fredonné. Mais combien ont su que Get Back est et restera par excellence une histoire trans ? Le premier couplet introduit Jojo, un homme qui croyait être seul dans son cas mais qui savait que ça ne durerait pas, quittant son bled d’Arizona pour une herbe californienne. Un second couplet limpide précise la transition : « Sweet Loretta Martin pensait qu’elle était une femme mais elle n’était qu’un homme. Toutes les filles autour d’elle disent que ça va lui retomber dessus mais elle en profite tant qu’elle peut… »
Jojo transformé en Loretta ? Paul McCartney précisa lui-même qu’il voyait en Jojo un personnage ambigu, moitié-homme, moitié-femme. Autre indice révélateur : la plus célèbre boîte de travestis de Londres à cette époque, située en plein Soho, s’appelait… Madame Jo Jo ! C’était l’équivalent de Madame Arthur ou du Cabaret Michou à Paris. Le refrain « Get back. Get back to where you once belonged » peut être traduit par « Repars. Rentre chez toi. » d’autant qu’il est ajouté que sa mère l’attend. Ou encore « Retourne à tes chères études », signe qu’il a encore des progrès à faire côté féminité, et là aussi le fait que sa mère l’attende, en talons hauts et chandail échancré, fonctionne bien.
Engagement des Beatles contre la discrimination grâce au troisième genre ? En réalité, cela va encore plus loin. Le morceau fut écrit et enregistré en janvier 1969, en réaction à un discours d’Enoch Powell, homme politique stigmatisant le danger d’afflux massif d’immigrants et préconisant leur renvoi hors du pays. Cela vous rappelle quelque chose ou quelqu’un ? Les Beatles voulurent parodier cette position extrême. Les premières versions s’appelèrent No Pakistanis puis Commonwealth Song, mais la satire risquait d’être mal interprétée. Le titre Get Back et le prisme trav-trans s’avéra bien plus malin pour traiter les questions d’intégration et d’acceptation des différences.
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Get Back est l’une des chansons dont les paroles ont été le plus ‘‘transformées’’ ! Elle appartient au dernier chapitre de l’histoire des Beatles, avant l’implosion du groupe. Get Back est le dernier morceau du dernier album des Beatles, intitulé “Let it be” (Ainsi soit-il), sorti le 8 mai 1970. Visuellement, il est associé à l’ultime performance hors-studio des Beatles : le « rooftop concert ». Ce concert sur le toit de l’immeuble Apple à Londres est aussi surréaliste qu’emblématique. Froide après-midi de janvier britannique, mais dans l’air quelque chose de doucement lourd, prémices d’un orage musical atypique qui inquiète et soulage en même temps. Passants stupéfaits et débonnaires, antiques fourgons de police, frimousses féminines sagement malicieuses, costards cravates au flegme so british ; une étroite London street qui s’étonne et des bobbies en longs manteaux qui s’interrogent. Tempête dubitative sous leur couvre-chef en forme de bombe étoilée si caractéristique. Billy Preston s’emploie au piano électrique et à l’orgue Hammond. Un sexagénaire nonchalant, hybride de Monsieur Hulot et Sherlock Holmes, escalade une échelle métallique et démontre qu’il est tout naturel de se balader sur un toit en chapeau mou et pardessus, pipe à la bouche et mains dans les poches ! Les quatre fabuleux distillent leur magie et donnent l’impression qu’ils ne se quitteront jamais. Au bout d’une quarantaine de minutes, la police finit par interrompre leur prestation.
Le froid qui régnait sur Londres ce jour-là est responsable d’un détail vestimentaire amusant : Ringo Starr porte le ciré rouge de sa femme Maureen, George Harrison le manteau noir de sa première épouse Pattie Boyd et John Lennon la veste en fourrure fauve de sa compagne Yoko Ono. Certaines l’interpréteront comme un signe du destin, d’autres comme un symbole supplémentaire, une pièce malicieuse du puzzle, un clin d’œil transidentitaire Get Backien. De cette ultime escapade live, demeure aujourd’hui une demi-douzaine de morceaux, enregistrée en 16 mm couleurs : “Get Back”, “Don’t Let Me Down”, “I’ve Got a Feeling”, “One After 909”, “I Dig a Pony”, et à nouveau “Get Back”, tel un final incontournable, suprême der des ders. En guise de conclusion, John Lennon lance à la cantonade : « Je voudrais vous remercier au nom du groupe et de nous-mêmes, et j’espère que nous avons réussi l’audition ! » Manière ironique de boucler la boucle ? Ou peut-être de revenir vers ce à quoi on a toujours appartenu…
Get Back
Get Back to where you once belonged
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Pour visionner l’ultime version live de GET BACK, lors du fameux “RoofTop Concert” des Beatles, sur le toit de l’immeuble Apple à Londres, cliquez sur l’image ci-dessous. Vous pourrez ainsi découvrir ou revoir une séquence mythique qui, malgré un quart de siècle, n’a pas pris une ride :
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