CHARLÉLIE COUTURE

DE NANCY À PARIS VIA NEW-YORK


Il est né le 26 février 1956 à Nancy et il fait à jamais partie de ma jeunesse. Je l’ai découvert à la fin des années 1970, dans une chambre de cité universitaire, d’abord à la faveur d’albums confidentiels, comme “12 chansons dans la sciure” (1978) et “Le Pêcheur” (1979), tous deux autoproduits. Les professionnels du business de la musique, qui savent toujours tout mieux que les artistes eux-mêmes, ne croyaient-ils pas en lui ? Deux ans plus tard, il explosait aux yeux, et surtout aux oreilles du grand public.

Fils de Jean-Pierre Couture, professeur des Beaux-arts reconverti en antiquaire-décorateur, et d’Odette Michel, professeur de français aux USA, notamment à Jacksonville (Alabama) et Kenosha (Wisconsin), il est initié à la musique classique dès l’âge de 6 ans par sa grand-mère, professeur de piano. La famille, parfois, ça aide. Ce n’est pas son frère cadet, Tom Novembre, auteur-compositeur-interpréte, comédien, mime et acteur, qui osera prétendre le contraire.
CharlÉlie Couture, qui tire son prénom de l’association des prénoms de ses deux grands-pères, se sent très vite attiré par plusieurs disciplines artistiques simultanément. Il se réclame d’un courant qu’il nomme le “multisme”, et dont il donne la définition suivante : « Le multisme c’est le fait d’évoquer l’idée qu’il y a une différence entre le fond et la forme, entre le comment et le pourquoi. On associe souvent l’art à une manière, alors que moi je crois que l’art dépend beaucoup de l’intention. Et quand on a une intention, on trouve la manière de faire ».
C’est toutefois la musique qui va le propulser sur le devant de la scène en 1981, avec la sortie de son album intitulé “Poèmes Rock”. Premier artiste français produit par le label anglo-américain Island Records, il fait un tabac avec sa chanson “Comme un avion sans ailes”.


Ce titre énigmatique, presque surréaliste, donne le ton d’un univers personnel et d’une façon bien particulière de l’évoquer. Précurseur d’un autre tube, intitulé “Aime-moi encore au moins”, édité en 1988, il s’inscrit dans une veine poétique et musicale, qui mêle balade mélancolique et langueur existentielle. Douceur lancinante, voix traînante, un tantinet obsédante, dans une tonalité nasale reconnaissable entre mille, arrangements concoctés dans le même esprit, c’est une hypnose auditive qui s’empare lentement mais surement de qui lui prête l’oreille et le cerveau.
Comme un avion sans ailes” en a fait planer plus d’un, et plus d’une, sans aucune garantie à l’atterrissage. Les paroles du premier couplet m’ont toujours semblé résonner comme une invitation assez équivoque : « Comme une avion sans ailes, j’ai chanté toute la nuit. J’ai chanté pour celle qui m’a pas cru toute la nuit »… À l’attention d’une petite amie qui aimait souvent surjouer les jolies hypocrites offusquées, je l’avais parodié en la version suivante : « Comme une avion sans ailes, j’ai bandé toute la nuit. J’ai bandé pour celle qui m’a pas cru toute la nuit ». Ben quoi ? Vous avez déjà imaginé la tronche d’un avion sans ailes ? C’est une vision assez évocatrice, non ? À chaque fois que j’entonnais ce pastiche avec ma guitare (l’autre avantage de ce morceau était sa partition en sol, ré, mi mineur et do, que des accords faciles, sans barrés, largement à ma portée), ma belle amie faisait mine de s’indigner, mais plus d’une fois, cela nous a fit chanter toute la nuit… et même un peu plus loin.

Dans mes années estudiantines, CharlÉlie Couture fut également l’un des premiers artistes que je vis en live, dans une petite salle intimiste de Nancy. Un de ceux, encore inconnus, pour lesquels on investit un argent de poche précieux, et qui, deux heures plus tard, nous font ressortir du concert cent fois plus riche qu’en y entrant. Ce soir là, à son répertoire, figurait un autre titre inoubliable : “L’histoire du loup dans la bergerie”. Dans un registre plus syncopé, rocky/jazzy indéfinissable, c’est une sorte de nouvelle mise en musique, un tableau à la Jacques Brel pour le texte et à la Paolo Conte pour le tempo. Elle faisait écho à des scènes d’un autre temps, avec des personnages hauts en couleurs, croisés dans des petits bistrots ou des fêtes patronales de ma Lorraine natale.


Après avoir signé la musique du film “Tchao Pantin” en 1983, et avoir été l’un des précurseurs du Web, l’ami CharlÉlie s’intéresse plus particulièrement aux nouvelles formes d’expression et de communication proposées par le réseau Internet. Il devient l’un des premiers explorateurs en matière de création numérique. Auteur-compositeur-interprète, poète, peintre, photographe, il se sent un peu à l’étroit dans le costume de chanteur français qu’on veut lui imposer. Sa “notoriété musicienne”, selon sa propre expression, devient un frein au développement d’autres projets artistiques. En 2004, il prend la décision d’émigrer avec femme et enfants (deux filles) aux USA, et d’aller s’installer à New-York. Il ouvre un atelier à Manhattan l’année suivante et crée sa propre galerie, “The Re Gallery”, en 2009. Expositions photos, dessins, peintures, conférences à propos de l’art et la culture, productions de disques, concerts et tournées sur la côte Est des États Unis et au Canada, ainsi qu’en Suisse, en Belgique et, bien sûr, en France, l’artiste pluridisciplinaire obtient la double nationalité américaine en 2011, mais s’interroge sur la dégradation du climat politique des USA à partir de 2016. En 2018, il décide de rentrer en France, où il partage à nouveau sa vie entre Paris et Nancy. Le dernier de ses 25 albums musicaux est sorti en 2020, sous le titre “Trésors Cachés et Perles Rares“.

Brusquement, cet intitulé me ramène plus de trente ans en arrière. Dans une autre vie de journaliste sportif, en 1988, je l’avais invité, en compagnie de son frère Tom Novembre, à venir voir un match de football au stade Saint-Symphorien, à Metz. Je ne lui avais pas avoué combien je l’admirais et combien il avait compté dans mes accointances artistiques. Ces choses-là ne se disent pas. Elles se ressentent et il l’avait compris. Chez lui, à Paris, nous avions réalisé une interview décalée sur le sport en général et le football en particulier. Parmi mes questions saugrenues, je lui avais demandé : « À la mi-temps d’un match de football, vous quittez la tribune pour aller aux toilettes. Là, une bande de hooligans, vous y coince méchamment. Ils vous obligent à chanter une chanson. Laquelle choisissez-vous ? ». Il ne lui fallut que quelques secondes pour décocher sa réponse. D’une voix faussement hésitante, presque chevrotante, il entonna : « Ma liberté, longtemps je t’ai gardée, comme une perle rare »…

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