WALK OFF THE EARTH

TOUS  POUR  UN


Que faire lorsque l’on est cinq musiciens et que l’on ne dispose que d’une seule guitare ? Très simple : il suffit de partager, ce qui est d’ailleurs la base essentielle de la musique. Cela donne un concert à dix mains, qui retourne le concept de multi-instrumentiste de l’instrument vers l’interprète. Originaire de Burlington, en Ontario, le groupe canadien “Walk off the Earth” en fournit une illustration magistrale. Outre une dextérité très esthétique et une synchronisation parfaite, la progression et l’harmonie vocales sont remarquables.

Début 2012, leur reprise de la chanson de Gotye “Somebody that I used to know” fit un carton sur internet. Avec plus de 80 millions de vues en seulement deux mois, la vidéo propulsa le groupe vers une notoriété immédiate. Aujourd’hui, les différentes versions mise en ligne sur YouTube atteignent les 215 millions de vues, auxquelles il faut ajouter les nombreuses parodies d’autres groupes ayant copié leur style, qui portent le total à près de 250 millions !

Des Beatles à Rihanna, en passant par Radiohead, Police, Tom Petty, Lady Gaga, AC/DC, Adèle, LMFAO ou Taylor Swift, les reprises de Walk off the Earth forment un répertoire aussi diversifié qu’inattendu. Le nombre de leurs fans va croissant (ils sont près de 4 millions à s’être abonnés à leur chaîne YouTube), et le groupe s’est affirmé au fil des ans en composant ses propres morceaux. Depuis plusieurs années, WOTE (abréviation de Walk off the Earth) enchaîne les tournées internationales avec un succès d’autant plus jouissif que le groupe s’est construit sans l’aide des maisons de disques, de producteurs ou d’agents extérieurs. Souvent tournés en plan fixe, leurs premiers clips étaient parfois réalisés à l’aide d’un simple iPhone. Celui qui les fit connaître du grand public, “Somebody that I used to know”, fut tourné dans la cuisine d’un des musiciens, le lendemain d’une fête du Nouvel An !


Aujourd’hui, les nominations et les distinctions se bousculent au portillon. Les sollicitations d’autres artistes également. Depuis la fondation du groupe en 2006, cinq albums originaux ont vu le jour. Le cinquième opus, intitulé “Here We Go”, est sorti en 2019. La créativité et la singularité de WOTE donnent souvent du fil à retordre aux journalistes et critiques musicaux, qui ont bien du mal à caser ce quintette moderne dans un genre particulier. Certains le qualifient de groupe indie-pop pour tenter tant bien que mal de définir un melting pot de rock, pop, folk, blues et reggae. C’est oublier que le nom même de la formation prône le refus de tout étiquetage ou formatage réducteur. Il évoque une invitation à se délester des problèmes trop terre-à-terre (walk off the earth, en anglais) qu’un quotidien monotone et étouffant se plait à disperser en travers de nos aspirations. Cette invitation est une incitation à disposer de leur musique comme d’un parachute ascensionnel émotionnel.

De gauche à droite : Mike Taylor, Ryan Marshall, Sarah Blackwood, Gianni Luminati, Joel Cassady.

Malheureusement, toutes les belles histoires ont à redouter les années qui passent. Les beaux jours écoulés rendent le présent fragile. Et le futur friable. La nuit du 29 décembre 2018, Mike “Beard Guy” Taylor meurt dans son sommeil. Le communiqué annonçant son décès fait état de causes naturelles sans plus de précisions. Celui que l’on surnommait “le barbu” était âgé de 51 ans. Pianiste de formation classique et multi-instrumentiste (claviers, voix, trompette, melodica, accordéon), il avait rejoint Gianni Luminati, le fondateur de WOTE, fin 2010. Le choc est rude pour le groupe, qui annule sa participation au grand concert du Nouvel An retransmis par CBC, le radiodiffuseur public national du Canada. La tournée mondiale qui suit débute sous des auspices on ne peut plus tristes. Un an plus tard, le 21 décembre 2019, c’est Ryan Marshall, multi-instrumentiste également (guitare, ukulélé, voix, trompette, basse, clavier, harmonica), qui annonce son départ du groupe après treize années d’aventures communes. Il a vécu cette dernière année avec des hauts et des bas très éprouvants et déclare vouloir se recentrer sur lui-même et sa musique.

Dorénavant, Walk off the Earth regroupe Sarah Blackwood (guitares, kazoo, ukulélé, banjo, basse, voix, piano, glockenspiel, tambourin) et Joel Cassady (percussions, cigar box guitare, basse) autour du leader Gianni Luminati (guitares, basse, ukulélé, banjo, clavier,  kazoo, cajón, clavier, percussions, cajon, voix, thérémine, beatbox, xylophone, violoncelle, contrebasse). Le trio, qui s’adjoint souvent d’autres amis musiciens sur scène, tient bon le cap et ses vidéos cumulent les 900 millions de vues sur YouTube. Sarah et Gianni sont devenus parents de trois jeunes garçons et doivent maintenant mixer musique et éducation familiale. Au beau milieu du dernier album de WOTE, figure une chanson intitulé “Mike’s Song”, qui s’adresse au défunt complice barbu et mutique que personne n’a oublié. Elle parle d’amour qui, comme le vent, ouvre la route et porte les cœurs vers un ailleurs où ils se retrouvent sans que, finalement, ils ne se soient jamais quittés. Cheminant hors du temps et de la pesanteur terrestre.

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