WHO ARE YOU ?

BON  PIED  BON  ŒIL  !



Pete Townshend, le guitariste bondissant des Who, vient de passer la barre des 72 balais. Né à Chiswick, un des quartiers ouest de Londres, le 19 mai 1945, il est le fondateur et le principal compositeur des Who, célèbre quatuor anglais formé avec Roger Daltrey (chant), John Entwistle (basse) et Keith Moon (batterie). « Il est la première rock star que Freud aurait adoré » annonçait en 2012 un article du Telegraph, en référence aux nombreux problèmes personnels rencontrés dans sa jeunesse, problèmes qui ont inspiré bon nombre de ses compositions sur des thèmes identitaires et conflits de générations.

Reconnu en tant que guitariste novateur des sixties, en compagnie des Syd Barrett, Jimmi Hendrix, Jeff Beck et autres Eric Clapton, il fut l’un des premiers à user, et surtout abuser, des larsens, des distorsions et des power chords, ces effets qui prophétisaient déjà l’avènement du hard rock et du mouvement punk. Son jeu de scène à base de moulinets du bras droit pour frapper vigoureusement les accords et de sauts multidirectionnels, jambes raides ou genoux pliés, le démarqua rapidement dans un registre impétueux pour les uns et assez excessif pour les autres. Son habitude de briser ses instruments et ses amplis sur scène acheva de le classer parmi les rockers incontrôlables, voire irrespectueux, et poussa de nombreux mélomanes et amoureux de la guitare à lui tourner le dos.


Pourtant, Peter Dennis Blandford Townshend a toujours été un musicien plus qu’accompli. Outre la guitare, il maîtrise la basse, le banjo, le piano, le synthé, la batterie… et même l’accordéon ! En tant que créateur musical, son premier coup d’éclat est sans conteste le «My Génération», sorti dès l’année 1965. Suivent, entre autres succès, Substitute et Happy Jack en 1966, Pictures of Lily et I can see for miles en 1967, Magic Bus en 1968, Pinball Wizard en 1969, Summertimes Blues en 1970, Bargain, Baba O’Riley et Won’t get fooled again en 1971, Dirty Jobs en 1973, et bien évidemment le monumental Who are you en 1978.


Cette même année 1978, Keith Moon décède brutalement à l’âge de 32 ans. Très proche des Beatles (Ringo Starr était son meilleur ami), il est invité le 6 septembre par Paul McCartney à l’avant-première du film The Buddy Holly Story. Il quitte la soirée assez tôt et succombe dans la nuit à une surdose médicamenteuse. Selon la police, pas moins de 32 pilules destinées à traiter son problème d’alcoolisme seront retrouvées dans son organisme. Certaines n’étaient pas encore dissoutes. Celui qui est toujours considéré comme l’un des plus grands batteurs de rock était aussi un ciment relationnel au sein des Who qui vont alors traverser des périodes de tension (dissolutions puis reformations) et de récession créative. Plusieurs critiques musicaux relient l’auto-destruction de Keith Moon à celle du groupe tout entier. La disparition du bassiste John Entwistle en 2002 enterrera définitivement l’espoir de revivre les moments de grâce distillés dans le plus pur style des Who. Par la suite, le duo survivant Townshend-Daltrey tentera bien de prolonger le feeling , notamment avec Zak Starkey, fils de Ringo Starr, à la batterie, mais le temps et l’élan du Jumping Pete sont révolus.


Pete Townshend demeure à jamais le Who le plus emblématique. Grand performer sur scène, compositeur dérangeur ou fédérateur selon les points de vue, il entretient encore des paradoxes singuliers. Showman disjoncté en concert mais sage père de famille entre deux tournées, reclus en son antre de Belgravia, dans le quartier de Westminster, non loin du palais de Buckingham, il alterna les addictions les plus diverses (acides, cocaïne, héroïne, anti-dépresseurs, alcool…) avec des périodes et des œuvres dédiées au yoga. Sa furie de fracasseur de guitares patenté, soit-disant adepte de l’art auto-destructif,  cohabita également sans problème apparent avec l’enseignement méditatif du gourou indien Meher Baba, dont il devint un disciple. Autant de contradictions qui justifieraient, en 2017, la question : Who are you ?

À 72 ans, Pete Townshend a toujours bon pied bon œil… mais ses oreilles n’ont pas tenu le choc ! À force d’augmenter les décibels sur des cathédrales d’amplis en concert, ou de saturer ses tympans pendant des heures sous les casques audio des studios, le musicien souffre aujourd’hui d’acouphènes irréversibles et d’une surdité partielle qui ne peut aller qu’en empirant. Certaines folies, telle que l’utilisation d’explosifs sur scène ou des niveaux sonores atteignant 120 décibels à 40 mètres du podium, sont significatives des excès répétés et de l’exposition intensive aux agressions sonores qu’il s’est infligé.

En 1969, Tommy, le célèbre opéra rock des Who, avait fait un véritable carton dès la sortie de l’album éponyme, le quatrième du groupe. Roger Daltrey implorait d’une voix émouvante : “See me, feel me, touch me, heal me”… À l’époque certains d’entre nous comprenaient “Hear me”. Bientôt, le créateur de cette œuvre ne pourra plus l’entendre. On ne sait quel regard Pete Townshend porte aujourd’hui sur son passé, ni sur son goût pour ses massacres théâtralisés de Fender, Gibson, Gretsch et autres Rickenbacker. Mais dans leur agonie sonore, tous ces jolis instruments qu’il a rudoyés, bafoués puis martyrisés jusque dans leurs derniers hurlements, ont sans doute contribué à priver le compositeur de ce qu’un musicien a de plus cher.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *