THIERRY ARDISSON

LES TERRIENS TE SALUENT

C’était il y a vingt ans, vingt ans déjà, mais je m’en souviens comme si c’était hier. Thierry Ardisson m’avait invitée dans son émission “Tout le monde en parle” pour me tirer, en tout bien tout honneur, le portrait.  Cette interview télévisée fut la plus sensible et la mieux documentée de toutes celles réalisées à mon sujet. Dans une ambiance décontractée, avec les clins d’œil complices de Laurent Baffie et de Michèle Bernier, j’avais pu m’exprimer en toute liberté et sincérité, avec un temps de parole et une attention devenus bien rares, pour ne pas dire inexistants, à l’heure actuelle.

De la même façon, on peut affirmer qu’aujourd’hui, des programmes du calibre de « Tout le monde en parle » n’existent plus. Cette grand-messe du samedi soir (septembre 1998 à juillet 2006) était une émission-débat d’une qualité et d’un style sensationnels. On pouvait écourter une sortie ou un resto afin de rentrer plus tôt pour la regarder. Les interviews singulières, entrecoupées d’extraits musicaux, le clavier-sampler de l’animateur, les prises de vue en coulisses, le blind test, les questions-défis, le montage décalé, la réalisation de Serge Khalfon (Magnéto, Serge !) et surtout le ton unique de Thierry Ardisson, furent autant d’ingrédients savamment mitonnés, au service d’un talk show original, sucré-salé, et épicé juste ce qu’il faut. Cette émission culte de deuxième partie de soirée lança également la carrière audiovisuelle de personnalités comme Laurent Baffie et Laurent Ruquier.

À la fin des années 1980, Thierry Ardisson avait déjà mis les pieds dans le Paf (paysage audiovisuel français) en plantant quelques jalons du même acabit : « Bains de Minuit« , sur la Cinq, émission branchée qu’il présentait dans la discothèque Les Bains Douches, puis « Lunettes Noires pour Nuits Blanches« , sur Antenne 2, qu’il présentait depuis la salle de spectacles parisienne Le Palace. Toujours sur Antenne 2 (aujourd’hui France 2), il reprit aussi le créneau du samedi à 19 heures, avec « Télé Zèbre« , s’attachant les services de valeurs sures telles Yves Mourousi, Françoise Hardy, Philippe Manœuvre, et donnant leur première chance à deux nouveaux venus : Yvan Le Bolloc’h et Bruno Solo ! En 1995, il créa, pour la chaîne Paris Première, l’émission « Paris Dernière« , exploration nocturne de différents lieux parisiens, filmée en caméra subjective, émaillée de rencontres et d’interviews exotiques. Il en assura la présentation les deux premières années puis, de 1997 à 2016, la confia successivement à Frédéric Taddéi, Xavier de Moulins, Philippe Besson et François Simon. Comme souvent dans les programmes made in Ardisson, la musique y tint un rôle primordial. La bande originale de Paris Dernière fut magistralement concoctée par sa deuxième épouse, Béatrice Ardisson, styliste et conceptrice sonore. Constituée de reprises kitschs ou décalées de titres connus, une compilation de morceaux choisis est toujours disponible dans le commerce. Un coffret très prisé des mélomanes regroupe l’intégralité des huit volumes sous le titre « La Musique de Paris Dernière« . Un régal pour les oreilles…

En 2003, comme s’il voulait s’assagir quelque peu, sans toutefois quitter le monde la nuit, Thierry Ardisson lança « 93, faubourg Saint-Honoré« , concept articulé autour d’un dîner mondain à son domicile du 8ème arrondissement. Diffusée sur Paris Première, cette émission fut à l’origine de l’arrêt de « Tout le monde en parle » en 2006, la nouvelle direction de France Télévisions appliquant, mordicus stupidus, le principe d’exclusivité des animateurs. Ainsi, France 2 saborda bêtement le fleuron de sa grille des programmes… dont elle ne retrouva jamais l’équivalant par la suite. Quant à Thierry Ardisson, il rejoignit Canal +, où il déclina une autre variante de son talk show, sous l’appellation « Salut les Terriens« . Ce rendez-vous hebdomadaire ne tarda pas à fidéliser un large public, qui en fit l’émission la plus performante de la chaîne. En 2017, renommée « Les Terriens du Dimanche« , une nouvelle mouture prit place sur C8, mais, suite à un manque de moyens, et probablement aussi à des divergences politiques avec Vincent Bolloré, Thierry Ardisson mit fin à cette parenthèse décevante, déclarant ne pas pouvoir se résoudre à faire de la télé low-cost. Son dernier talk show fut enregistré le 29 mai 2019. L’homme en noir attaqua en justice Vincent Bolloré. En 2021, la chaîne C8 fut condamnée à dédommager Ardisson et le prestataire Téléparis à hauteur de 5 millions d’euros.

Annoncé sur France 3 en 2022, un magazine d’interview fiction, baptisé « Hôtel du Temps« , devait mettre en scène des célébrités disparues en restituant leurs véritables propos, récupérés grâce à des images d’archives, et mis en scène à l’aide du deepfake. Cet ultime projet signé Ardisson devait se décliner en plusieurs épisodes de 90 minutes chacun. Un trio de choc fut retenu pour le lancement de la série : Dalida, Coluche et Jean Gabin. Après les deux premières diffusions, France 3 jeta l’éponge faute d’audience. Cette fois, le grand public ne daigna pas suivre le concepteur novateur, qui avait pourtant passé beaucoup de temps à développer cette idée : « Je m’étais dit que ce procédé (le deepfake) était toujours utilisé de façon négative ou comique, mais jamais de façon sérieuse. Après tout, c’est un outil, et un outil n’a pas d’idéologie. ». Beau joueur malgré l’échec, il ajouta : « C’est l’un des projets dans lesquels j’ai le plus investi, à la fois en argent et en énergie. Mais si le public n’en veut pas, c’est lui qui a raison ».

Malheureux au jeu, heureux en amour ? Si ces dernières années l’on privé des numéros gagnants sur la grille des programmes tv, elles ont comblé Thierry Ardisson sur le plan sentimental. Certains avaient craint le pire à l’annonce par Béatrice Ardisson de leur séparation en 2010. Le meilleur était revenu juste après, en partageant la vie de la journaliste Audrey Crespo-Mara (journaux télévisés sur TF1) qu’il finit par épouser le 21 juin 2014. Dans son dernier livre autobiographique, « L’Homme en Noir”, paru en mai dernier, Thierry Ardisson tournait quelques pages de son passé en bonne compagnie, de ce monde ou de l’autre. On y retrouve le sens de la formule dont il faisait déjà preuve en tant que publicitaire, lorsqu’à 29 ans, il avait fondé avec deux amis l’agence Business. Comment se démarquer alors face à des mastodontes de la pub et des campagnes spectaculaires ? En inventant le spot publicitaire de huit secondes, qui permit aux annonceurs à petit budget d’accéder à la télévision ! Simplissime. Il fallait seulement y penser. Dans la foulée, Thierry Ardisson devint concepteur-rédacteur de slogans publicitaires à succès. Il fut notamment l’auteur de : « Vas-y Wasa ! », « Lapeyre, y’en a pas deux ! », « Chaussée aux Moines : Amène ! » , » Quand c’est trop, c’est Tropico ! » , « Javel dire à tout le monde » « Ovomaltine, c’est de la dynamique ! » (avec un accent des montagnes suisses à couper au fil à gruyère)…

Je me suis souvent demandé pourquoi, lors de notre unique rencontre en plateau, je m’étais sentie aussi sereine, aussi détendue, aussi confiante. A priori, la situation pouvait sembler stressante de par l’impact de l’émission, de par la présence d’un public nombreux et la confrontation au sniper Laurent Baffie… Pourtant, dès les premiers instants, j’eus l’impression de me trouver face à un ami de longue date. Avec le recul, je me dis que, confusément, j’ai senti qu’il faisait partie de cette grande famille difficile à définir, celle des ambivalences polyvalentes, celle des personnes conscientes des différentes strates qui les composent et enclines à en parler ouvertement. Émetteur-Récepteur. Récepteur-Émetteur. Évidemment, ce soir-là, loin de moi l’idée de questionner mon interlocuteur sur sa vie privée, ou la prétention de comparer nos doubles, triples ou sextuples vies. Mais, dans l’absolu, j’ai dû percevoir que c’était possible, qu’avec lui, tout paraissait possible. Rien n’était tabou. Son impertinence était conciliante. Pouvoir communiquer sur tout et avec tous est un atout majeur dans l’existence. Thierry Ardisson était un formidable interviewer parce qu’il n’avait crainte de se livrer lui-même. Les confidences appellent les confidences. Il n’a jamais caché avoir tout essayé : les hommes avant les femmes (première expérience homosexuelle, à 17 ans, DJ dans une discothèque de Juan-les Pins), le suicide avant le retour à la vie (s’ouvrant les veines dans sa baignoire peu après son premier mariage), les drogues douces et dures, avant des résolutions plus saines, mais un peu tardives.

Peur de la mort, Thierry Ardisson ? Dans une interview récente accordée au Point, il confiait : « Je veux voir la mort arriver en face, pas qu’elle me prenne par surprise. Le jour où je sentirai la fin approcher, je déciderai de tous les détails pour mon enterrement. (…) J‘aimerais que les trois femmes que j’ai épousées soient là. Ma famille aussi. Mes potes. De toute façon, quand je sentirai la mort approcher, j’écrirai tout. Je veux l’encens, les enfants de chœur… la totale ! J’ai déjà toute la playlist en tête. Je veux qu’on écoute Lazarus de David Bowie et In My Life des Beatles, repris par Sean Connery. ».
L’homme en noir a succombé à un cancer du foie, à 76 ans, le 14 juillet 2025 à Paris. J’ai lu ou entendu ici et là, que mourir un 14 juillet était un comble pour un monarchiste tel que lui. Un ami royaliste s’est inscrit en faux contre cette pensée erronée. Chaque année, lui-même ne manque pas de fêter cette date mémorable : le 14 juillet 1099, qui correspond à la prise de Jérusalem, au terme de la première croisade, et qui marque la fondation du royaume de Jérusalem…

4 thoughts on “THIERRY ARDISSON

  1. Tres bel hommage à cet énergumène du PAF… C toujours un vrai plaisir de lire tes (longs) articles… Dans ce monde où tout va très vite, ça fait du bien de se poser un peu pour prendre le temps de lire un peu…

  2. Je ne me suis jamais intéressé à l’homme ni à ses émissions mais tu lui rends un superbe hommage qui donne l’envie de le connaître mieux. Tu as une belle plume !

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