FABIO QUARTARARO

PHOTO FINISH

Il fait partie des surhommes, de ceux qui osent aller plus vite et plus loin que les autres, de ceux qui osent s’aventurer aux limites du possible, de ceux qui osent défier l’équilibre fragile entre passion et raison. Dans le sport qu’il pratique, contrairement à d’autres disciplines, la mise d’entrée est particulièrement élevée, pour ne pas dire hors de prix. À chaque épreuve, c’est, au mieux, son intégrité physique, ou, au pire, sa vie qu’il met en jeu. Mais l’éventualité du pire, Fabio Quartararo la laisse derrière lui. Il donne l’impression de n’y avoir jamais pensé que pour mieux la minimiser, l’estomper, la distancer, l’éliminer, tel un détail insignifiant qui finit par disparaître tout au fond d’un rétroviseur.

Né le 20 avril 1999 à Nice, Fabio Quartararo est un pilote de vitesse moto qui s’est illustré très tôt dans toutes les catégories par lesquelles il est passé. En 2015, les hautes instances lui ont même accordé une dérogation exceptionnelle afin qu’il puisse s’inscrire en championnat du monde Moto3, à quinze ans à peine ! Mais, pour celui qui a débuté la moto à quatre ans, la précocité n’a jamais rien eu d’étonnant. Fort de ses aptitudes hors normes, mais conscient que le talent ne suffit pas, il s’expatrie très jeune en Espagne, terre de prédilection des compétitions et des grands champions moto. Son travail acharné et ses sacrifices sont récompensés. En 2019, il accède à la catégorie reine : le championnat MotoGP. Lors du grand prix d’Espagne, il décroche la première pole position de sa carrière parmi l’élite, devenant le plus jeune pilote de l’histoire à réaliser cette performance ! Il enchaîne avec de nombreux podiums et signe ses premières victoires l’année suivante. En 2021, c’est l’apothéose. Fabio Quartararo devient le premier Français champion du monde de vitesse moto ! En 2022, malgré des conditions défavorables et une fracture des phalanges à la main gauche, il termine deuxième du classement général. Les Espagnols le surnomment El Principito (le petit prince), ou El Diablo.

Comme bon nombre de sportifs de sa génération, Fabio Quartararo est très actif sur les réseaux sociaux. Il compte près de 2,5 millions d’abonnés sur Instagram, et près de 400.000 personnes le suivent sur X, anciennement Twitter. Cette année, peu avant Noël, le jeune champion a partagé une photographie en compagnie d’un ami. On les voit tous deux, probablement sur une terrasse de restaurant ou lors d’un cocktail en extérieur, complices et détendus, en train de rire, comme deux amis peuvent le faire en partageant une bonne blague ou une observation amusante. C’est, a priori, l’interprétation qui vient à l’esprit de tout observateur normalement constitué du cervelet. Ce n’est pourtant pas celle qui a primé dans certaines caboches sonnant le creux. Obsédés par la proximité physique des deux hommes (leurs têtes se touchant et le visage de Fabio approchant l’épaule de son ami), des internautes perfides ont fustigé l’attitude du pilote en multipliant les commentaires homophobes à son sujet. Se croyant supérieurement intelligents et pensant avoir accouché de la trouvaille littéraire du siècle, certains ont aussitôt ironisé sur le surnom du “petit prince”. D’autres, parmi ces grands courageux anonymes, qui n’ont rien d’autre à faire que chercher la meilleure façon de nuire à autrui, bien planqués derrière leurs écrans, sont allés jusqu’à rechercher de précédents clichés montrant les deux hommes ensemble. Une enquête à charge visant à outer Fabio Quartararo et Ethan Doux, descendant d’une famille propriétaire d’une grande marque de montres et bijoux. Une démarche aussi bête que méchante, car les deux copains ont souvent posé ensemble par le passé, ne faisant nullement mystère de leur amitié de longue date. Ces actions et ces propos malveillants ont pris une telle ampleur que le champion français a dû désactiver les commentaires sur Instagram et supprimer ce contenu de son compte X.

Au delà du caractère navrant de cette histoire, et du nombre croissant de crânes fêlés qui peuplent les réseaux dits sociaux, la question que l’on peut se poser concerne l’avenir d’une société qui semble de plus en plus se niveler par le bas. D’aucuns prétendent que les mentalités évoluent. Dans quel sens ? Qu’il s’agisse d’amitié ou d’amour entre deux hommes ou deux femmes, où est le problème ? Ceux qui dénaturent ces deux sentiments en tentant de les dégrader n’ont sans doute jamais expérimenté pleinement ni l’un ni l’autre. C’est bien dommage, ou bien fait, pour eux. Ils se condamnent à errer dans leur petit univers de fake news et de haters sclérosés. Ils croient pouvoir atteindre des cibles totalement hors de portée. En mars prochain, débutera un nouveau championnat du monde de vitesse moto. Fabio Quartararo enfourchera un nouveau bolide pour flirter avec des vitesses de pointe de 350 km/h, prendra des virages aux limites de l’adhérence, touchant la piste du coude, retrouvera les podiums et les victoires, cabrant les 240 chevaux de sa machine hurlante sur la ligne d’arrivée, inscrira à nouveau son nom au palmarès des meilleurs pilotes mondiaux. Pendant ce temps, que feront ses détracteurs agricoles ? Ils laboureront leurs canapés de leurs dos avachis et grassouillets, bavassant leur sport favori devant leur téléviseur, une bière dans la main droite et une pizza dans la gauche. Ils ne seront ni homosexuels, ni hétérosexuels, ni transsexuels… Trop compliqué pour eux, tout cela. À la rigueur, ils seront apérosexuels, ce qui, on est en droit de l’espérer, réduira singulièrement leurs chances de se reproduire. On pourra alors remercier le sport d’avoir contribué à étouffer cette engeance si bien décrite par le fabuleux écrivain et universitaire italien Umberto Eco : « Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire très rapidement. Aujourd’hui, ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel ».

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