MAHSA AMINI et HADIS NAJAFI

CHEVEUX EN BATAILLE


C’est une image et une situation on ne peut plus banale et totalement anodine, dans la plupart des pays, mais en Iran, elle revêt un caractère tout particulier. Ces lycéennes sans hijab (voile ou foulard qui couvre la chevelure des musulmanes tout en laissant le visage apparent) osent revendiquer la liberté pour les femmes d’Iran, en confirmant noir sur blanc leurs convictions et en faisant le V de la victoire. Cette photographie fait partie des nombreuses réactions et protestations qui ont suivi le décès d’une jeune femme de 22 ans, Mahsa Amini, arrêtée à Téhéran par la police des mœurs iranienne pour « port de vêtements inappropriés ».

Tout commence le mardi 13 septembre 2022. Mahsa Amini, originaire de la province iranienne du Kurdistan, passe quelques jours de vacances à Téhéran, avec son frère et plusieurs membres de sa famille. Elle est heureuse de visiter la capitale du pays, juste avant de retourner dans la province d’Azerbaïdjan occidental, afin d’y entamer des études universitaires. Elle a le cœur léger et l’avenir devant elle… juste avant de croiser les tristes sires de la police des mœurs iranienne. Fondée en 2005, cette milice, également appelée police de la moralité, déploie des efforts particuliers pour soumettre les femmes à des règles et des obligations d’un autre temps. Son rôle principal est de veiller au bon respect du port du voile, mais elle se targue également d’étendre son contrôle à l’ensemble des tenues vestimentaires féminines. Tolérance zéro pour tout ce qui est moulant ou de couleur vive, pour les manches pas assez longues, qui découvriraient les bras, ou les bas trop courts, qui exposeraient les chevilles. Un jean troué, devenu bien insignifiant pour les jeunes occidentaux, et c’est un aller simple, au mieux pour le commissariat, au pire pour la prison. Idem pour le vernis à ongles, qui est rigoureusement interdit. Ces sombres sbires peuvent pousser le zèle jusqu’à mesurer la longueur des manteaux ou vérifier la bienséance des chaussures. Ils peuvent se livrer à toutes les exactions possibles et imaginables. Ils ont la bénédiction de leurs supérieurs pour qui liberté et jeunesse sont des menaces. Comme le disait si bien Coluche : « Pour ces messieurs, la moralité devient rigide quand le reste ne l’est plus ».


En cette belle journée de septembre, dans sa promenade tranquille, Mahsa Amini n’avait enfreint aucune de ces règles fondamentales. Un affreux moraliste de cette police odieuse a simplement jugé que son voile était mal ajusté et qu’il laissait entrevoir quelques mèches de cheveux trop provocantes à son goût. Elle a aussitôt été emmenée au poste, duquel elle n’est ressortie que pour être conduite à l’hôpital, où elle est décédée après trois jours de coma. Les autorités ont prétendu qu’elle avait succombé à un “problème cardiaque soudain”. Une version peu crédible, contredite par la famille, le père de Mahsa ayant affirmé qu’elle était en parfaite santé jusqu’à son inculpation, et son cousin, présent lors de son arrestation, ayant évoqué des coups portés à la tête. Le média dissident Iran International, basé à Londres, est allé plus loin en diffusant un scanner du crâne de Mahsa. On y détecte clairement une fracture osseuse, avec présence d’un œdème cérébral et d’une hémorragie, séquelles typiques observées lors des traumatismes crâniens. La police a maintenu la thèse du malaise cardiaque, selon laquelle la victime « s’est soudainement évanouie alors qu’elle était avec d’autres personnes dans une salle de réunion ». On imagine aisément de quel genre de réunion et de quel genre de personnes il a dû s’agir… En Iran, tout le monde sait que la brutalité de ces ignobles individus n’a d’égale que leur corruption. Si la victime a de l’argent, elle peut être relâchée très rapidement. Si ce n’est pas le cas et qu’elle est un peu trop jolie ou un tantinet rebelle, le sadisme de ses tortionnaires n’a aucune limite. Ils se sentent tout puissants, investis d’une mission de soumission de la gent féminine, confortés dans leur basse besogne par l’élection en 2021 d’un président ultraconservateur, Ebrahim Raïssi, qui a encore durci la loi sur le port du hijab. Ce dernier, outre la chevelure, doit désormais dissimuler le cou et les épaules. En cas d’infraction, la contrevenante s’expose à une descente aux enfers qui va de l’arrestation, avec amendes et punitions corporelles, telle que la flagellation (les coups de fouet sont prévus par la loi) jusqu’à la prison, avec humiliations, tortures et viols… ou la mort ! Celle de Mahsa Amini aura peut-être été le meurtre de trop.

L’annonce de son décès a rapidement suscité une vive émotion dans tout le pays. La personnalité de Mahsa, jeune fille sage et sans histoires, qui ne demandait qu’à vivre tranquillement et qui a été assassinée dans des conditions iniques et révoltantes, a décuplé l’impact de cette injustice, y compris au sein de familles plutôt traditionnelles et religieuses. De nombreux parents se sont dit qu’un tel drame pourrait frapper leurs enfants à tout moment. Ajouté à cela l’indignation et le ras-le bol des femmes pour qui trop c’est décidément trop, et une vague d’indignation a généré des manifestations impensables en Iran il y a encore quelques mois. Les étudiants, les artistes et plusieurs partis politiques ont rejoint le mouvement. Des slogans “Liberté pour les femmes” et “Mort au dictateur” ont été repris par la foule et des projectiles ont été lancés sur le portrait de l’ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de la Révolution islamique (au dessus de la charge officielle du président) et proclamé descendant du prophète Mahomet. Les forces de l’ordre, qui portent décidément bien mal leur nom, ont réagi avec la violence la plus extrême, tirant sur les manifestants à balles réelles et faisant des dizaines de morts, dont une nouvelle martyre, âgée elle aussi de 22 ans à peine : Hadis Najafi.


Hadis Najafi, tout comme Mahsa Amini, avait la vie devant elle. Jeune, jolie et libérée, apparemment trois facteurs de forte mortalité en Iran actuellement, elle aimait la danse, le chant et le stylisme. Elle avait décidé de participer à cette manifestation à la mémoire de Mahsa Amini pour ne pas rester silencieuse contre la tyrannie du régime et l’asservissement des femmes. Elle l’a payé de sa vie. Son corps a été criblé de balles (4 à 6 selon les témoignages). Sa sœur a publié ce message sur Instagram : « Vous, salauds, lui avez tiré une balle dans le cœur. Pourquoi lui avez-vous tiré une balle dans le cou, une dans la main et une dans le front ? De combien de balles avez-vous eu besoin pour tuer une fille qui ne pesait que 40 kg ? ». Certains pensent que ce meurtre est encore plus abject que celui de Mahsa Amini. Même l’hypothèse de la bavure ou de la balle perdue, souvent invoquée par les forces anti-émeutes, ne tient pas une seconde. « Ils ont tiré pour tuer », a dit une autre manifestante, ajoutant qu’une jeune femme blonde sans hijab leur avait surement semblé être une cible de choix.

Loin d’éteindre l’incendie, cette répression brutale et excessive n’a fait qu’attiser la révolte. Le mouvement de contestation a pris de l’ampleur, relayé hors d’Iran par de nombreux médias. Un peu partout dans le monde, des artistes et des intellectuels ont exprimé leur soutien inconditionnel à la cause de ces femmes et à leur combat pour la liberté. Des manifestations de solidarité ont fleuri dans de nombreux pays, parmi lesquels la France, l’Angleterre, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Canada, les USA, l’Argentine et même la Turquie. Au total, plus de 150 grandes villes dans le monde ont répondu à l’appel. Quid de la réaction des officiels en Iran ? Mohammad Javad Haj Ali Akbari, ancien vice-président de la République islamique et imam, s’est fendu d’une déclaration éloquente à l’égard des manifestants : « Si vous n’arrêtez pas vos crimes éhontés, vous devez vous attendre à une réponse forte de la part du système islamique, qui, jusqu’à présent, a fait preuve de patience ». On croit rêver ! Depuis quand se faire tuer en s’exprimant pour la liberté est-il devenu un crime éhonté ? Et donner l’ordre de flinguer de jeunes femmes sans défense, c’est un acte de courage héroïque, sans doute ? Quant au mot patience, il doit y avoir confusion avec déviance ou potence… ou un mix des deux.

Finalement, ce n’est peut-être pas plus mal que tous ces enturbannés aux patronymes plus longs que leur barbes aient la vue si courte. À force de durcir la répression, les tyrans fomentent eux-même la révolution. Les femmes libres d’Iran, et les hommes qui les rejoignent, sont peut-être à l’aube d’une nouvelle ère. On se souvient, en décembre 2010, de l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, un jeune vendeur de rue tunisien brisé par le harcèlement (humiliation, confiscation de ses biens) d’une administration inhumaine. Ce geste désespéré fut le catalyseur de la révolution tunisienne (démission du président Ben Ali), qui fut elle-même le déclencheur du printemps arabe, inspirant un ensemble de contestations populaires au sein de plusieurs nations du monde arabe. En Iran, la brune Masha et la blonde Hadis sont peut-être les figures de proue d’un élan qui ne demande qu’à prendre de l’ampleur… jusqu’à renverser tous les obstacles qui tenteront de s’y opposer.

7 thoughts on “MAHSA AMINI et HADIS NAJAFI

  1. Une bouffée “d’hair” pour la condition féminine.
    Bel hommage pour celles (et ceux) qui ne portent pas de vêtements appropriés… et qui en payent le prix.

  2. Merci pour cet article et cette documentation.
    La haine et la bêtise incommensurables caractérisent ces islamistes qui détiennent le pouvoir dans ce pays tout comme en Afghanistan. Leur arrièrisme mental les a poussé à commettre des actes qui se retourneront contre eux.
    On ne peut impunément et éternellement pousser à bout la population, ça s’est vérifié dans l’histoire récente notamment au Soudan. Et tout a une fin, espérons que celles de ces dictatures moyennageuses se produise vite.

  3. Bonjour – permettez-moi de remonter ce fil suite à cet article paru hier :
    https://madame.lefigaro.fr/celebrites/actu-people/en-video-coldplay-invite-golshifteh-farahani-sur-scene-pour-chanter-l-hymne-des-manifestantes-iraniennes-20221031
    Dans la 2e vidéo, après un discours Coldplay invite Golshifteh Farahani – laquelle commence à chanter à 3.28 —- il y a un sous titrage en anglais, mais difficile de suivre ou de comprendre quand on ne maîtrise pas l’anglais – c’est un peu plus plus aisé avec le texte paru là https://en.wikipedia.org/wiki/Baraye — cependant une traduction en fr serait bienvenue — peut-être ce lien est correcte https://lyrics-letra.com/2022/10/AD02/Shervin-Hajipour-Baraye-Paroles-Traduction-Fran%C3%A7aise-fr-FR.html à moins que vous fassiez mieux (j’aime bien vos présentations en bilingue) —- à défaut, un compte rendu du contenu de la chanson avec ces deux liens https://www.opinion-internationale.com/2022/10/12/baraye-de-shervin-hajipour-un-hymne-pour-une-revolution-en-marche_108837.html —– https://fr.wikipedia.org/wiki/Baraye
    Belle écoute

    1. Merci infiniment pour ces liens pertinents qui prolongent parfaitement l’article. Je suis certaine que de nombreuses lectrices, et lecteurs, y trouveront leur compte. Dans ce long et dur combat, toutes les passerelles qui mènent à davantage de liberté et de justice sont bonnes à prendre. Et à transmettre, afin de tisser une toile plus humaine.

  4. Merci à vous aussi – et voici la vidéo que j’espérais = https://www.youtube.com/watch?v=nUfvSczd6T8 (sous titre en francais) ainsi peut-on mieux communier avec le chant en persan
    – trouvée grâce à cet article publié aujourd’hui = Marjane Satrapi, célèbre autrice de BD et réalisatrice franco-iranienne, et le Collectif 50/50 sont à l’initiative du clip publié mercredi 2 novembre en soutien au mouvement de contestation du régime iranienhttps://www.francetvinfo.fr/culture/musique/une-cinquantaine-de-personnalites-francaises-chantent-baraye-en-soutien-au-peuple-iranien_5453602.html

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