BORNE À TÂTONS

ÉLISABETH AU ROYAUME DES AVEUGLES


Dans ma vie, j’avais déjà vu des ramassis de phrases creuses et de lieux communs, mais le discours de notre première ministre à l’Assemblée Nationale, ce 6 juillet 2022, a battu tous les records de vacuité et d’absurdité oratoire. Et les commentaires qui ont suivi sur les chaînes d’information en continu n’ont fait qu’accentuer ma nausée à un point que je ne saurais décrire. Comment faire, avec tant d’aplomb et de duplicité, la promotion de l’inconsistance et l’inconséquence tant sur le fond que la forme ?

Au fur et à mesure qu’étaient reprises ses phrases clefs par des journalistes politiques aussi bornés que nos responsables du même nom, je me sentais asphyxiée, aspirée, disloquée par un trou noir intellectuel d’une autre dimension. Parmi les perles du jour, quelques exemples pris à la volée méritaient une rapide analyse : « J’ai vu se dégager une volonté commune : bâtir la république de l’égalité des chances ». Merci bien, chère Babette, mais ce discours-là, je l’ai entendu 40 ans durant et toute la classe politique actuelle prouve par ses faits et gestes qu’elle ne pense qu’à une chose : bâtir, ou plutôt consolider, l’inégalité des chances à son seul et unique profit.

« Nous ne pouvons pas décevoir, ensemble nous répondrons à l’exigence de responsabilité ». Ah bon ? La première proposition est déjà un tartufferie de première. La classe politique ne peut décevoir ? C’est nouveau ? Ça vient de sortir, ça ? Décevoir, c’est pourtant ce qu’elle a fait de mieux depuis des décennies ! La seconde partie de la phrase évoque une nébuleuse “exigence de responsabilité”. Le concept mériterait un début d’éclaircissement s’il n’était totalement fantomatique. Ces deux mots accolés l’un à l’autre ne veulent strictement rien dire tant ils sont boursouflés d’inanité crasse. Un seul rappel suffit à les faire exploser telles de vulgaires baudruches : qui, sinon la classe politique, a inventé la notion de responsable mais pas coupable pour les pires forfaitures, et même crimes, commis par elle-même ?

«Nous devons changer notre rapport au travail. Le cœur de ce changement c’est le plein-emploi, le bon emploi » Wouaouh ! Alors là, on atteint des sommets d’hypocrisie ! Qui n’aimerait pas bénéficier du plein-emploi et du bon emploi ? Au lieu de cela, qui se fade les sales boulots dans des conditions souvent exécrables, ou qui subit une précarité de tous les instants, pendant qu’il suffit à d’autres d’être nommé ministre une semaine pour bénéficier d’avantages conséquents et d’une retraite à vie ? Curieuse république de l’égalité des chances… qui nous mène directement à un autre credo : « Nous devrons travailler progressivement un peu plus longtemps. Notre pays a besoin d’une réforme de son système de retraite. » À qui le dis-tu, Zabou Première ! Dans ce cas, en toute équité, pourquoi ne pas montrer l’exemple et commencer par toi-même et tous tes petits copains du gouvernement ?


« Nous devons cesser de penser qu’à chaque défi, la solution est une taxe, alors pas de hausse d’impôt. (…) La suppression de la redevance audiovisuelle pourra permettre de faire économiser 138 euros à plus de vingt millions de foyers ». Magnifique écran de fumée pour emberlificoter le citoyen lambda obsédé par son porte-monnaie, en se gardant bien d’évoquer les somptueux cadeaux accordés aux grosses entreprises et l’incapacité à faire rentrer les impôts que devraient payer les GAFAM, ces cinq géants du web (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) qui se goinfrent impunément depuis des années sans verser les taxes dont ils devraient s’acquitter.

« Notre école, c’est celle qui conforte les savoirs fondamentaux : lire, écrire, compter, le respect d’autrui ». Mais, chère Élisabeth Borne, de quel œil regardes-tu notre société ? Lire, écrire, compter… dans ces trois compartiments essentiels, l’enseignement français régresse d’année en année. Au dernier classement PISA (qui évalue le niveau des élèves de 15 ans dans 79 pays), la France a chuté au 23ème rang. Notre baccalauréat des années 2020 équivaut à peine au brevet des années 1950… et je suis gentille. Quant au quatrième point évoqué, le respect d’autrui, toutes les jolies jeunes filles, les couples homosexuels ou les transgenres peuvent témoigner de ce qu’il en reste aujourd’hui. Mais pour s’en rendre compte, il faut traverser certains quartiers autrement qu’à toute vitesse, en voiture officielle et accompagnée de gardes du corps dissuasifs.

« Nous faisons face à un manque criant de professionnels de la santé. Cette situation durera plusieurs années » « L’épidémie de covid n’est pas finie. Nous devons rester vigilants et prêts à agir. » « Nous devrons soutenir les soignants. Il faut montrer aussi l’engagement exceptionnel de nos soignants et je veux leur rendre hommage. » La vache ! Ça c’est du scoop ! En résumé : on est à la ramasse grave de chez grave, avec une pénurie de pros de la santé qui va encore durer pendant de longues années, l’épidémie de covid repart à fond la caisse (plus de 200.000 contaminations par jour avec un pic annoncé fin juillet) mais on va juste songer à rester attentif et se “préparer” à intervenir, et nos soignants exceptionnels, qui sont au bout du rouleau et tirent la langue depuis trois ans, et bien leur rendre un énième petit hommage en passant suffira bien à leur peine, malgré tout ce qu’on leur a promis depuis le déclenchement de cette pandémie. Franchement, si ça ce n’est pas du foutage de gueule intégral, moi je suis reine d’Angleterre et de Papouasie réunies.


« Le gouvernement apportera des réponses radicales à l’urgence écologique », « Nous engagerons des transformations radicales dans notre manière de produire, de nous loger, de nous déplacer, de consommer. » Ah ouais ? Et comment qu’c’est-y qu’tu vas t’y prendre, grande prêtresse du y’a qu’à / faut que ? Déjà, l’urgence conjuguée au futur, ça craint un max, surtout lorsqu’il s’agit d’écologie. Ensuite, la répétition de l’adjectif radical, pour une républicaine bon teint, ça craque un peu aux entourloupes. Pardon, je voulais dire aux entournures. Concernant la production industrielle, le logement et la consommation, c’est même carrément de la science fiction. Des déclarations comme celles-là, pas besoin d’être première ministre pour les débiter à tire larigot. Ma concierge est capable de faire aussi bien, sinon mieux.

En désespoir de causerie intelligible, gavée de truismes et de lapalissades indigestes, j’ai fini par éteindre ma télévision avant de succomber à une contamination, qui, visiblement, a déjà affecté les trois quarts des observateurs et commentateurs du paysage audiovisuel français. Fréquenter les mêmes instituts de formation que les hommes politiques y est probablement pour quelque chose. Dans ma campagne lorraine natale, sur les bancs de la communale, on m’a appris que l’on jugeait une personne sur ses actes, non sur ses paroles. Tout l’inverse de ce que l’on enseigne dans les grandes écoles, vouées au règne du souverain poncif. Coluche disait : « Lorsqu’un homme politique finit de te répondre, tu ne te rappelles même plus de la question que tu lui as posée ». S’adressant aux différentes composantes de l’Assemblée Nationale, la première ministre de notre pays a déclaré : « Je veux qu’ensemble nous redonnions un sens et une vertu au mot compromis ». En tant que première transgenre de mon immeuble, je lui répondrai que, dans ce terme, il y a con et promis. Et que chacun devrait savoir que les promesses politiques n’engagent que les imbéciles qui y croient.

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