EN PASSANT PAR LA LORRAINE…

BRIGIGGY LENNON


En passant par la Lorraine et le Luxembourg, j’ai endossé ce week-end un rôle hybride de John Lennon et Iggy Pop, à la scène comme à la ville. Renouant avec mon petit village natal de Beuvillers (54), et sans doute avec une partie de mon adolescence, j’ai pris un plaisir non dissimulé à arpenter ainsi les abords de l’église et de la mairie, où je suis même allée voter, davantage par nostalgie exhibitionniste que par devoir civique. Je n’ai malheureusement revu aucun des complices de ma jeunesse, ceux ou celles avec qui nous montions des spectacles de fin d’année pour les anciens ou des fêtes patronales d’été à base de jeux inter-villages. Certains ont disparu, d’autres ont dû être retenus, cet après-midi là, par leurs familles ou les hasards de la vie. J’ai éprouvé cette étrange impression d’appartenir encore, de par mes racines, à cette terre austère qui m’a vu naître, sans toutefois éprouver le moindre regret quant aux décisions singulières qui m’en ont éloignée.

Instantanément, j’ai associé ce sentiment d’entre-deux à la fluidité de genre qui m’a toujours caractérisé. Au risque, encore une fois, de déplaire aux intégristes LGBT, les mêmes qui me reprochaient de renouer un peu trop souvent avec mon apparence masculine à l’époque où j’étais chroniqueuse transgenre dans le Grand Journal, sur Canal +, j’ai toujours pensé que les combats les plus virulents étaient, en définitive, les moins productifs. Psycho-sociologiquement parlant, ils ne mènent pas la majorité des gens sur la voie de la tolérance et de l’acceptation des différences. Et, quel que soit le nom que l’on lui donne, Dieu sait si ce chemin est encore long à l’égard du troisième genre. Par delà notre communauté, cette lutte concerne en premier lieu une notion de liberté et d’équité entre l’homme et la femme. Je me suis souvenu d’une photo et d’une formidable citation d’Iggy Pop, ce survivant de toutes les batailles, y compris et spécialement les plus aléatoires… Cette réflexion évidente pour tout être humain doué d’un minimum de raison n’est malheureusement toujours pas d’actualité pour bon nombre de décérébrés primaires traversant le 21ème siècle comme s’ils vivaient encore au Moyen Age. Soyons indulgentes et laissons leur encore quelques centaines d’années pour leur permettre d’arriver à notre niveau.

« Je n’ai pas honte de m’habiller en femme car je pense
qu’il n’est en rien honteux d’être une femme.
»


Récemment, j’ai rencontré de nouvelles personnalités et artistes transgenres, qui sont immédiatement devenues des amies, et avec lesquelles nous réfléchissons à un projet de groupe musical d’un autre genre. Hasard ou nécessité ? La vie nous réserve parfois de divines surprises qui se transforment en formidable carburant. On ne sait encore où nous mènera cette nouvelle aventure, mais on en espère toutes le meilleur. Musique et transgenres, même combat ! Le clip “Candy” m’est également revenu à l’esprit au moment de reprendre mon TGV en direction de Paris et de mes talons aiguille de 12 cm. Ce titre figure dans son album “Brick to Brick”, peut-être la fondation de sa reconstruction, en 1990. C’est à mes yeux, et à mes oreilles, la meilleure pop song qu’Iggy Pop ait jamais écrite. Entre Roy Orbison et David Bowie. La ligne guitare/basse, omniprésente, distille une langueur dynamique. La batterie, sèche et précise, scande des sentiments à la fois mélancoliques et obstinés. Les images du clip, contrastées, parfois saturées, servent le propos à merveille. L’âge adulte torturant la fin de l’adolescence, un amour de jeunesse est à jamais idéalisé, mais à l’avance condamné. Ville contre campagne, nature contre bitume, jour et nuit, elle et lui. C’est un duo/duel écartelé par un demain pluriel. Les deux se manquent mais ne se mentent. Ils se répondent sans se répandre. Les dès sont déjà jetés. Iggy entame les ambigüités, entre cyprès, azur et cirrus. Torse nu et jeans déchiré bien avant l’heure, guitare noire au manche et liseré nacrés, il grave sa voix dans l’air lourd d’un orage qui ne veut pas éclater. Extérieur-intérieur. Kate Pierson, chanteuse multi-instrumentiste, l’un des éléments fondateurs des B-52’s, donne la réplique, moulée dans une robe fourreau bleu roi aux reflets moirés, bas évasé et bretelles torsadées. Lèvres rubis, brushing asymétrique impeccablement laqué, longs gants en lamé et boucles d’oreille dorées, archétype de la vamp américaine, demi-sœur de Jessica Rabbit, d’abord accoudée au bar avant de glisser vers la scène d’un cabaret désert, elle prend le relais devant des tentures passion. C’est la même déchirure, la même complainte, en miroir, dans laquelle la rousse incendiaire avoue sourire pour ne pas pleurer. Le couplet est repris en chœur, cœur fendu et reconstitué, chacun retrouvant, dans l’ultime séquence, sa position de départ. Dos à dos et solitaire.

Je me suis souvent demandé pourquoi ce clip et cette chanson m’avaient tant marquée. La réponse réside dans l’antagonisme masculin / féminin. Les deux personnages poursuivent le même but, dans des directions diamétralement opposées. À l’échelle d’un couple, la situation est déjà problématique. Assemblée dans un même corps, cette confrontation devient vertigineuse. Ma biologie initiale de garçon au tempérament sportif et artistique me projetait dans le sillage d’Iggy, tandis que ma fibre féminine et un futur sublimé surfaient sur les ondulations de Kate. Je pouvais tout à fait reprendre à mon compte les deux partitions séparément, avec l’implacable certitude de ne pouvoir les accorder. Impensable de sauver l’un sans abandonner l’autre. Au final, la chanson réussit malgré tout à prolonger le dialogue entre les deux parties. Il suffit d’en extraire les accords majeurs : « J’avais un rêve que personne d’autre ne voyait … J’ai appris à donner le change, à sourire tout le temps… Ça m’a fait vraiment mal quand tu es parti(e)… Je suis ravi(e) que tu t’en sois sorti(e)… ». Encore merci, cher Iggy, d’avoir écrit Candy.

One thought on “EN PASSANT PAR LA LORRAINE…

  1. Il ne faut jamais revenir aux temps cachés des souvenirs
    Du temps béni de son enfance
    Car parmi tous les souvenirs, ceux de l’enfance sont les pires
    Ceux de l’enfance nous déchirent…
    BARBARA

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