PALÀCIO NACIONAL DA PENA

CARNETS  DU  PORTUGAL  2



Ayant égaré la clef de la Quinta de la Regaleira, comme relaté précédemment, j’ai pensé que le destin me poussait peut-être vers une autre porte, plus spirituelle, et qu’il me fallait découvrir un moyen de l’entrouvrir au plus vite. Qui dit spiritualité, dit élévation. En levant les yeux vers les monts de Sintra, qui dominent la ville et les hommes, j’aperçus, au delà des remparts austères du Castelo dos Mouros (le Château des Maures), un point de lumière vacillant entre espoir et réalité. D’où provenaient ces ondulations colorées ? Qui avait bien pu allumer cette torche sans flammes et quels gardiens exilés entre forêts et rochers lui avaient été sacrifiés ?



Les réponses à ces questions se trouvaient là-haut. Dans un périple digne d’Arthur traversant la forêt de Brocéliande, nous nous lançâmes, Morgane et moi, à l’abordage des sentiers escarpés et des sombres futaies qui enserrent ce sanctuaire. Les autochtones le nomment “Palácio Nacional da Pena”. Les premières frondaisons à peine franchies, le temps se mit à changer du tout au tout. En quelques secondes, l’horizon s’assombrit au point de disparaitre. Le soleil fut englouti par des nuages difformes et un vent violent gifla soudain le versant de la montagne que nous avions entrepris de gravir. Nous progressions difficilement, sans croiser âme qui vive, dans un secteur que l’on nous avait pourtant décrit comme touristique. Avions-nous courroucé quelque divinité locale ? Y-avait-il interpénétration de deux mondes incompatibles ? Voulait-on nous faire comprendre que les visiteurs d’un autre temps ne sont pas admis ici ? Une pluie diagonale se mit à strier nos certitudes. Faisions-nous fausse route ? Allions-nous nous perdre ? Il nous fallu batailler un long moment avant d’atteindre le pied la citadelle.

Tout n’était encore qu’ombre et inquiétude. Les arbres pliaient et geignaient sous les assauts des bourrasques humides. Les animaux semblaient avoir déserté les lieux et les hurlements du vent redoublaient de violence, comme pour nous signifier que nous n’étions décidément pas les bienvenues… Et puis, au bas de la muraille, Morgane toucha la première pierre que personne n’aurait songé à nous jeter et tout s’éclaircit comme par enchantement. Le gris fit place au bleu dans l’azur brusquement recouvré. La tempête cessa et l’édifice tout entier se métamorphosa en un clin d’œil. L’exubérance de ses couleurs vives, notamment le rouge et le jaune, fit cligner nos imaginations tout en révélant un métissage architectural des plus surprenants. Mauresque, baroque, gothique, Renaissance et manuélin : tous ces styles émergeaient simultanément dans une étrange cavalcade, qui faisait se chevaucher des époques et des influences finalement pas si éloignées.

Construit sur les ruines d’un monastère hiéronymite (Ordre de Saint-Jérôme) du XVe siècle, ce château incroyable dut son existence au prince Ferdinand de Saxe-Cobourg-Gotha, roi consort du royaume. D’origine allemande mais portugais d’adoption à la suite de son alliance avec la reine Marie II du Portugal, le souverain rêvait d’un palais d’été unique au monde. Celui-ci ne fut malheureusement achevé qu’en 1885, l’année même de la mort du roi. Ironie du sort ? Ou tension entre faux contraires, telle celle qui rappelle qu’au Portugal, tout ne devient que saudade. Un curieux sentiment, une douce maladie dont on ne guérit jamais vraiment, un choix impossible, comme être présent dans le passé ou être passé dans le présent… La saudade m’a toujours fait penser à une schizophrénie sentimentale. D’une part l’impression lancinante  d’un manque qui nous inonde, et d’autre part le désir désespérant de retrouver ce qui nous manque. Amàlia Rodrigues la définit comme une “épine douce et amère”. On ne sait jamais s’il est plus douloureux de chercher à l’enlever ou de chercher à l’oublier. Ou de finir par comprendre que les deux options sont illusoires.

Au fur et à mesure que Morgane gravit les marches devant moi, je pense à celles que j’ai laissées derrière moi. Aucune saudade. Dois-je m’en étonner, m’en inquiéter ? L’escalier d’une existence ressemble-t-il à un palais de la peine, avec ses contrastes et ses métamorphoses ? Avec trop d’envies et pas assez de temps ? Éventuellement… Mais si on ne choisit pas toujours son parcours, on peut souvent en changer les couleurs. À l’intérieur des différentes pièces du château, des portraits de monarques et représentants de la noblesse portugaise laissent transparaître une lassitude, un ennui, une tristesse pour certains, qui en disent long sur la palette qui leur était imposée. On les plaindrait presque. Leur futur ressemble à un passé ressassé. Avant de redescendre dans la vallée, Morgane et moi humons une dernière fois le présent en toute sérénité. Du haut des tours, face au soleil couchant, nous admirons le tableau d’une étrange harmonie entre nature et  culture. Les vents de l’Atlantique, qui pénètrent cette province de l’Estrémadure par le versant nord de la Serra de Sintra, agitent nos cheveux et hâlent nos joues. Au bas de la dernière marche de l’ultime palier, nous nous demandons si cette vielle pierre fissurée était déjà là en 1503, lorsque fut édifié le tout premier monastère de Notre-Dame de la Péna… Qui peut savoir ? Toujours ce yoyo existentiel entre désir d’ailleurs et retour aux sources.

2 thoughts on “PALÀCIO NACIONAL DA PENA

  1. Que tout ceci est bien décrit et écrit… avec de belles envolées métaphysiques.
    J’Aime… autant que j’aime tous les Châteaux et Palais petits et grands que nous offrent la colline de Sintra… sans oublier, côté Océan, à une petite dizaine de kilomètres à l’ouest, le Cabo dà Roca, la pointe la plus à l’ouest du continent eurasiatique…. avec ses hautes falaises battues par les vagues.
    Merci à Brigitte et à Morgane pour avoir tenté l’aventure pour nous.

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