VERTIGO

PRONOM

Un pronom est un mot, généralement variable, qui peut prendre la place d’un nom. Le dictionnaire Littré complète sa définition ainsi : « Dans le sens grammatical précis, mot qui désigne les êtres par l’idée d’une relation à l’acte de la parole, par opposition aux noms qui désignent les êtres par l’idée de leur nature ». Le débat entre l’acte et la parole, entre l’être et le paraître, est ouvert ! Mais que se passe-t-il lorsque l’un et l’autre se dérobent, se chamaillent, se réconcilient et se mélangent soudain autour du féminin et du masculin ?

C’est tout le propos de l’auteur anglo-canadien Evan Placey dans sa pièce intitulée Pronom et du groupe Vertigo, compagnie théâtrale basée à Rennes, qui lui donne vie sur scène. Pronom est une histoire d’amour insolite entre deux lycéens. L’un des deux, Isabella, a grandi en étant identifié comme fille alors qu’il s’est toujours senti garçon. L’autre, Josh est l’amoureux de cette fille qui décide d’assumer sa transition en devenant ouvertement le garçon qu’elle a toujours été intérieurement. Quid de leur relation amoureuse et des réactions de leur entourage ?

L’incroyable défi relevé par la troupe Vertigo, et son metteur en scène Guillaume Doucet, réside dans une performance à psychologie variable. Acteurs et actrices incarnent tous plusieurs rôles, passant de l’adolescent à l’adulte (et vice versa) selon un timing époustouflant, embarquant le spectateur, sans jamais le perdre, dans un tourbillon existentiel et émotionnel peu commun. Histoires et points de vue se télescopent et se complètent sans verser dans le cliché ou le convenu. Il n’y a pas de bonnes réponses, simplement d’excellentes questions. La forme, peaufinée par le jeu des acteurs, accentue le fond, ancré sur un texte ciselé.


La dysphorie de genre, terme récent pour évoquer une question d’identité séculaire, est un thème souvent mal traité car encombré de notions confuses ou erronées. Le sujet rebute ou effraie encore beaucoup de monde dans notre société dite moderne. Un comble quand on sait tout ce que la mythologie grecque a pu en tirer il y a déjà 2500 ans ! Point de tragédie ou de caricature avec l’attelage Vertigo-Placey. Aucune omission ni dramatisation. L’identité de genre, par le prisme de cette pièce, apparaît plus clairement dans ce qu’elle a de foncièrement humain. Pronom la conjugue au singulier pluriel. De Jeanne d’Arc à James Dean (qui partagent presque les mêmes initiales), en passant par Shakespeare et Rosa Parks, les références sont aussi nombreuses qu’inattendues dans un propos où les passerelles mouvantes sont plus importantes que les stabilités apparentes qu’elles relient. C’est un théâtre philosophique pour tous, décliné sous forme de comédie romantique. Une empathie contagieuse s’en échappe doucement mais surement. On se met à la place de l’un ou l’autre des amoureux, de leurs amis, de leurs parents, de leurs connaissances. On change d’orientation et de rythme au gré des différentes scènes. Comment agirais-je, comment réagirais-je, à la place de tel ou telle ? Que conseiller à Josh, toujours amoureux de sa copine résolue à devenir un garçon, alors que lui ne se sent pas du tout gay ? Que penser de ces personnes prônant chichement la tolérance en la refusant à ceux qui ne raisonnent pas comme eux ? Et comment ne pas faire imploser ou exploser le cercle de ceux qu’on aime en devenant soi-même ?

Le cercle, ou plutôt les cercles, voilà l’essentiel. Le coming out (ou devrait-on dire coming in, tant le terme out reste synonyme d’exclusion) est ce caillou retiré de la chaussure puis jeté dans une eau dormante. Des cercles concentriques troublent alors la surface, se propagent plus ou moins loin, plus ou moins longtemps, mais au final, que changent-ils en profondeur ? Pronom nous aide à mieux comprendre ce remou-ménage entre Dean/Isabella et Josh, puis ce remu-méninges au sein leur entourage. La pièce fonctionne comme une sorte de périscope auto-reverse. Émergences de sensibilités insoupçonnées et sentiments en apnée. Le grand mérite de l’auteur, du metteur en scène et des comédiens, est de réussir à transmettre cette mixité d’affect et d’intellect en autorisant toutes les interactions possibles et imaginables, en suggérant toutes les prolongations, tangibles ou inconcevables. Vertigo ouvre un vortex d’interrogations qui se transforment en convictions. La réflexion surfe sur l’émotion. Elles chevauchent des rebondissements imprévus, des situations indisciplinées, des impressions renversées. Elles nous embarquent et nous bringuebalent dans une croisière transversale, telle une étrange plongée vers le haut. Et le voyage d’un autre genre.


Du 5 au 26 juillet 2019, la pièce sera jouée au Festival d’Avignon (au théâtre 11 – Guilgamesh Belleville). Tous ceux et celles qui auront la chance de se trouver dans les parages à ce moment-là n’ont pas le droit de manquer ce rendez-vous, avec Vertigo et avec eux-mêmes. Il serait judicieux de réserver rapidement sa place car le bouche à oreille devrait rapidement faire son effet. Au delà du public, la qualité d’une telle création mériterait grandement l’implication de généreux donateurs. Avignon représente certes une consécration mais c’est aussi une charge financière énorme pour une compagnie qui ne peut équilibrer ses comptes avec les seules ressources de billetterie. À l’heure où des cagnottes se multiplient sur internet pour tout et n’importe quoi, on se demande comment de telles réalisations n’obtiennent pas davantage de soutiens, privés ou publics. Dans la cadre de sa participation au festival d’Avignon 2019, le groupe Vertigo demeure à la recherche de mécènes susceptibles de lui apporter une aide financière vitale. Pour cela, deux contacts prioritaires :

mail : compagnie@legroupevertigo.net ou téléphone : 06.71.83.04.03.

 

PRONOM

Texte : Evan Placey
Traduction : Adélaïde Pralon

Adaptation et mise en scène : Guillaume Doucet
Assistanat à la mise en scène et régie générale : Bérangère Notta

Jeu (par ordre alphabétique) :
Geraud Cayla (Kyle)
Jeanne Lazar (Dani)
Marie Levy (Laura)
Guillaume Trotignon (Josh)
Morgane Vallée (Dean)
Chloé Vivarès (Amy)

Avec la participation de Glenn Marausse (poster James Dean)

Création et régie son : Maxime Poubanne
Création et régie lumière : Nolwenn Delcamp-Risse (alternance Adeline Mazaud)
Création vidéo : Guillaume Kozakiewiez & Pierre-Yves Dubois
Création costumes : Anna Le Reun
Dramaturgie : Tom Boyaval
Photographie : Caroline Ablain

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