MON PAUVRE SAPIN

MON BEAU SAPIN



Ultime jour de janvier, premier jour de février…  « Père, Père Noël, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Il n’y a pas si longtemps, fin décembre, c’était l’étoile du salon, la star du living-room. Aujourd’hui, il n’est plus rien. Il n’est plus sur son 31. On l’a dépouillé de ses attraits, comme dans la chanson, bois et guérets. On a saccagé sa parure, confisqué les rubans, les bijoux et les attributs de fête qu’il arborait triomphalement sous les œillades contemplatives d’un public conquis. Noble déchu au faîte de sa gloire, il erre solitaire. Personne ne lui fait plus le moindre cadeau. Déraciné dans les grises rues des grandes villes, il gît nu en exhibant sa verdure.

Mon beau sapin, roi des forêts, du tapis au tapin, ils t’ont trainé sans le moindre regret. Et toi, dans ta lente agonie, tu ne songes même pas à te venger. Tes aiguilles ne piquent pas. Elles ne l’ont jamais fait. Elles crissent doucement sous leurs talons plats. Tu vois passer des fleurs endimanchées qui te ressemblent mais ne le savent pas encore. Tu redoutes les pas lourds de spécimens gourds aux souffles courts, braconniers ou bucherons de l’asphalte. Ils ne te regardent même pas.

Tu repenses à ta nature, intérieure et extérieure, la seule à laquelle tu appartiens. Dans un dernier hasard et un gigantesque effort, tu rampes vers le seul allié végétal de l’endroit. Tu te blottis à ses pieds, on ne sait jamais… Mais aucune réponse ne parvient, ni de près de loin. Tu restes là quelques temps, sans savoir comment, sans pouvoir faire autrement.

Finalement, comme dans un rêve, tu entends une petite musique. Un peu trop aigüe, un peu trop forte, mais tu sais qu’elle te concerne. Elle se rapproche et vient vers toi, lancinante. Tu perçois des belles lumières qui clignotent et te rappellent vaguement ces guirlandes qui t’empêchaient de dormir. Elles scintillent sur un grand traineau vert, duquel descendent des elfes vêtus de couleurs vives. Ils viennent pour toi. Tu n’es plus abandonné. Ils viennent enfin te chercher. Tu n’es peut-être plus la plus belle, mais tu n’es pas oublié.

Tu repenses aux oiseaux, aux futaies du passé, à la campagne, aux collines boisées, aux fleurs de givre et à leurs blanches ombrelles. Tu repenses à l’air du temps, aux étoiles lointaines, à tes Vosges natales et aux brimbelles. Enfin, tes sauveteurs arrivent et, plaintivement, tu les hèles. Oui, ils sont là pour toi, ces petits hommes colorés et leur camion-poubelle…

 

 

 

One thought on “MON PAUVRE SAPIN

  1. Comme d’habitude, c’est magnifique. Arriver à sublimer un sapin de décoration éphémère et en faire un être à part entière. Le faire devenir une vraie personne que nous suivons de son scintillement à sa descente vers les austères décharges. Qui petit à petit passe du statut de Dieu du salon à objet dérisoire qui, sans défense, se retrouve dans le plus simple dénuement. Après avoir illuminé le foyer. Encore trop forte, Brigitte

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