À LA GODILLE

PIEDS  PLATS


Ouf… Le festival de Cannes est enfin terminé ! Et avec lui le défilé de toutes les godiches dépoitraillées au palmarès à jamais inconnu. Rideau également sur les strings apparents. Il faudra attendre une année pour à nouveau croiser du téton turgescent sur tapis rouge et tâter de la fesse aguicheuse en sortie de limousine. D’ici là, la presse, spécialisée ou non, aura tout le loisir de gloser ou glousser à propos des énièmes sursauts de l’affaire Weinstein. Cortège d’effets spéciaux, de doublages et de trucages à géométrie variable, avec cadrages  interchangeables. Et interprétations plus ou moins primées, entre professionnels du cinéma.

Parmi les barouds donneurs de mauvais goût, on notera la performance navrante de l’actrice Kristen Stewart, par ailleurs membre du jury de ce festival 2018. Laissons à nos illustrissimes confrères de Purepeople.com le soin de détailler qu’est-ce que donc au fait de quoi qu’il s’agit. Attention, ça décoiffe. Extrait : « En bonne rebelle qu’elle est, Kristen Stewart a envoyé valser les principes et les règles vestimentaires du Festival de Cannes en retirant ses chaussures sur le célèbre tapis rouge de la Croisette ! Après avoir pris la pose devant les photographes dans une robe lamée digne d’une armure de chevalier et avec des Louboutin pointus aux pieds, l’actrice a enlevé ses chaussures pour monter les marches. Le but de la manoeuvre ? Plusieurs théories s’opposent.
1/ Avec cette météo pluvieuse, Kristen a voulu être plus confortable et ne pas chuter avant son entrée dans la salle de projection. C’est vrai que ça aurait fait mauvais genre de se rouler par terre avec une robe Chanel.
2/ Elle voulait prouver qu’elle portait bien des Louboutin en montrant les semelles rouges aux photographes.
3/ Elle a voulu affirmer un peu plus son caractère (après l’acte un : débarquer à Cannes avec un néo-mulet) et montrer qu’elle s’en moquait des règles du festival. »

Illustrant cet article hautement philosophique, fut publiée une série de clichés où le ridicule le dispute au sens de l’inesthétique. On y voit effectivement la donzelle retirer ses talons hauts et s’en aller pieds nus dans une démarche à démonter les marches… pauvres marches rougissant de honte à l’approche de cette verrue plantée dans leur pourpré décorum. Ces pieds soudainement aplatis, comme écrasés par le poids d’une impossible supercherie, ne donnent pas envie de les suivre, ne serait-ce que du regard. Vision décalée, habituellement cantonnée aux fins de banquet de mariages de province, lorsque d’imprudentes randonneuses à la petite semelle se prennent pour des premiers prix d’élégance. Leur piédestal usurpé ne tarde jamais à les rappeler à l’ordre. Alors, elles déchaussent rapidement, laissant gésir sous la table des arpions rougis et boursouflés. Malheur à celui qui leur ferait remarquer cette incongruité : « Oh, vous les hommes, vous ne savez pas ce que c’est que d’endurer les talons ! On voudrait bien vous y voir, et savoir combien de temps vous résisteriez à cette torture ». Cette réflexion m’a toujours fait rire intérieurement. Du temps où j’étais au placard, où je menais une double vie entre masculin et féminin, j’en pouffais sous cape. Quand on veut, on peut. Un point c’est tout. Dès mes premiers pas dans le monde du troisième genre, j’ai apprivoisé les talons aiguilles au point d’en faire immédiatement des alliés indéfectibles, des amis fidèles. Les véritables amis ne trahissent jamais. Dans son cœur et à ses pieds, il faut simplement savoir les choisir. Huit, dix, douze, quatorze centimètres, peu importe l’apparence et la hauteur du défi, c’est une question d’honnêteté. Envers eux et envers soi-même.  « Quand on fait quelque chose, il faut le faire bien », me disait souvent ma grand-mère. Elle ajoutait : « Et plus il y a de monde qui regarde, mieux on doit le faire. Soit on est capable, soit on ne l’est pas » !

Apparemment, il a manqué une grand-mère clairvoyante à notre chère Kristen, quelqu’un qui lui mette le pied à l’étrier et qui lui apprenne à marcher droit. Car, n’en déplaise à nos éminentissimes confrères de Purepeople.com, il se pourrait que la petite (sans ses talons) Kristen ne soit pas aussi rebelle qu’ils le prétendent, et que sa conduite cannoise fût dictée par d’autres impératifs que ceux évoqués. Rappelons les trois hypothèses avancées : a) éviter une chute qui aurait fait tache en robe Chanel, b) faire apprécier ses Louboutin véritables en montrant leur semelle rouge aux photographes, c) affirmer son caractère insoumis en refusant les règles protocolaires du festival.
Pour ce qui est du a), on peut objectivement se demander ce qui, de la chute inopinée ou de la dégaine de va-nu-pieds, nuit le plus à la robe Chanel. Ainsi discréditée, cette pauvre robe Chanel n’en paraît plus une. Elle semble rabaissée au rang d’anodine création Tati, présentée par une petite paire de pattes courtaudes. Le postulat b) suggère une volonté d’authentification Louboutin en montrant de façon originale la semelle rouge aux photographes. Dans ce cas, pourquoi ne pas revenir à l’option a) et se vautrer par terre ? Les photographes n’en manqueront pas une miette et les semelles rouges seront tout aussi apparentes. Dans les deux cas, toutefois, je ne suis pas certaine que le père Christian (Louboutin) goûte la plaisanterie. Cela revient à démontrer que ses escarpins, aussi beaux soient-ils, sont de véritables chausses-trapes propices au casse-gueule de luxe, ou bien qu’ils sont proprement immettables. Louboutin-Chanel même combat, et même pied de nez à l’élégance des stars. Ultime suggestion, la proposition c) invoque l’esprit rebelle et le caractère frondeur de l’intervenante (du spectacle) vis à vis de l’organisation du festival…

Cette dernière thèse eut pu se défendre… à la condition que la manœuvre eût été ponctuelle et exécutée de manière non répétitive. Or que constatons-nous en surfant sur internet ? Une fâcheuse tendance de Kristen Stewart à mettre les pieds dans le plat, où qu’elle soit et à quelque moment que ce soit. Pour elle, talon aiguille ne rime pas avec talon agile mais avec talon d’Achille. C’est sa faiblesse. Son imperfection, sa prétention, sa démission… selon le même scénario à répétition. Elle voudrait bien mais elle peut point. Cela va même au delà du coup de pub, ou du coup de buzz, comme on le nomme aujourd’hui. C’est un comportement à la godille qu’elle tente d’exagérer au pied levé. Elle feint de ne pas en être affectée mais, à chaque fois, elle capitule avant l’heure. Les grandes aiguilles ne sont pas ses amies.

Ne soyons pas trop sévère tout de même. « Avant de juger son frère, il faut avoir marché plusieurs lunes dans ses souliers » recommande un proverbe indien. Certes, l’exercice semble assez difficile vis à vis de Kristen Stewart, mais, après tout, elle n’est pas la seule ici bas à marcher à côté de ses pompes.

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