D’ARC et D’ÉON

D’ARC  ET  D’ÉON  :  MÊME  COMBAT  ?

Trois siècles les séparent. Une inversion les rassemble. Elle naît en 1412 à Domrémy, lui en 1728 à Tonnerre. Elle meurt en mai à 19 ans, lui en mai à 82 ans, dans un genre à la fois similaire et différent de ceux qu’ils auraient dû être, de ce qu’ils auraient dû paraître. Jeanne d’Arc et le Chevalier d’Éon même combat ?

Pour Jeanne, cela va très vite. À 13 ans, elle entend des voix : « Sois pieuse, libère le royaume des Anglais et mène le dauphin sur le trône ». A 16 ans, elle décide de s’enrôler et prend l’habit d’homme. À 17, elle libère Orléans et fait sacrer Charles VII à Reims. À 18, chef de guerre abandonné, elle est vendue aux Anglais. À 19, elle est brûlée vive à Rouen sans que le roi ne lève le petit doigt.

Son rôle dans la Guerre de Cent Ans fut une inversion de tendances. Jeanne d’Arc fit basculer l’ascendant psychologique, jusque-là anglais, du côté français. Son ambivalence fascina et inquiéta autant ses partenaires que ses adversaires. Les uns comme les autres firent vérifier sa virginité, doutant de sa pureté, aussi bien physique que religieuse ou politique.

Finalement, le tribunal lui reprocha de porter des habits d’homme et d’afficher un comportement hérétique et blasphématoire.

Pour Charles Geneviève Louise Auguste Andrée Thimothée d’Éon de Beaumont, dit le Chevalier d’Éon, le renversement des genres prend un autre tempo. Avocat au Parlement de Paris dès 21 ans, versé par Louis XV en personne au “Secret du Roi” (la DGSE de l’époque), il réussit sa première mission d’agent secret auprès de la tsarine Élisabeth sous l’apparence féminine de Lya de Beaumont et scelle une nouvelle alliance franco-russe !

Secrétaire d’ambassade, escrimeur hors-pair, il conquiert le grade de capitaine des dragons avant de redevenir agent secret et d’œuvrer depuis Londres, à la fin de la Guerre de Sept Ans. Son courage au combat et son habileté diplomatique lui valent une distinction rare : l’Ordre Royal et Militaire de Saint-Louis.

La rumeur qu’il est une femme se propage alors que Louis XVI réclame sa correspondance avec feu Louis XV ainsi que des écrits impliquant Marie-Antoinette. Le désaccord est profond, mais 14 mois et 20 pages transactionnelles plus tard, documents et rente viagère se croisent, avec obligation pour la Chevalière de “ne plus paraître sous d’autres habillements que ceux convenables aux femmes”.

Surpris par la Révolution, ruiné mais auteur de treize volumes d’économie, histoire, politique et correspondances, le chevalier d’Éon s’exhibe jusqu’à la fin de sa vie dans des duels surréalistes, étrange saltimbanque-escrimeuse en jupons. Il ne démentira jamais, laissant ce soin au chirurgien anglais autopsiant son corps.

D’Arc et D’Éon : même combat ?

Curieux basculement des sexes qui, dans un cas comme dans l’autre, semble éliminer leur sexualité pour mieux faire fantasmer les générations suivantes. L’histoire les a contraint tous deux à un travestissement, l’une en homme, l’autre en femme, qui les a rendu sympathiques et estimables aux yeux du grand public, alors qu’ils allaient tous deux à l’encontre des codes sociaux, moraux et religieux.

Cela prouve une chose : que ce soit pour un homme ou pour une femme, il n’y a pas de bon ou de mauvais genre. Masculin ou féminin n’est même pas la question. Tous deux en apportèrent la preuve sans pouvoir véritablement la défendre. Il n’y a qu’un seul genre. Il est humain.

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