VEUVE BLONDE

MARIÉE NOIRE



Alan, un ami breton, faisait tranquillement ses courses dans un supermarché non loin de Portsall (en un seul mot) dans le Finistère, lorsqu’une silhouette insolite attira son attention. Émergeant du rayon “poissons-surgelés”, devançant les mailles métalliques d’un mini-chalut à roulettes, une sirène à la longue chevelure blonde ondulait à contre courant de la clientèle habituelle, fort clairsemée à cette heure matinale. Son corps était parfait, longiligne et scintillant de noirs reflets aguicheurs. Sa présence en ces lieux était aussi surréaliste qu’inespérée.

Alan fit trois fois le tour du rayon fruits et légumes pour se calmer autant que pour se donner du courage. Une telle apparition était un présent divin. Cette somptueuse déesse l’avait harponné sans même un regard. Il se devait de l’aborder avant qu’elle ne disparaisse dans les brumes d’on ne sait quel chantier naval… Mais lorsqu’il patrouilla à nouveau dans les parages du surgelé, la belle avait disparu. Il cingla aussitôt vers les eaux minérales, prit la route des épices et du sel de mer, bifurqua devant les conserves. Sur la première ligne de sa liste de courses était spécifié : thon, sardines et maquereaux. Ils n’eurent droit qu’à un coup d’œil furtif. Mille fois, il crût la revoir. Mille fois, sa silhouette et son regard noirs disparurent derrière de vagues consommateurs anonymes. Ces quidams indécis semblaient n’avoir jamais remarqué sa présence.

Comment était-ce possible ? Alan naviguait à vue mais ne voyait plus que les banalités habituelles des grandes surfaces. En tête de gondole, Marius, un de ses amis d’enfance, faisait de la retape pour Le Géant Vert. Il lui demanda s’il n’avait pas vu passer sa blonde ébène. L’autre resta bouche bée. Pas le temps de lui expliquer. Il mit le cap sur les caisses 6 et 9, les deux seules ouvertes en ce début de matinée. Si sa muse avait quitté les lieux, les caissières l’auraient forcément vue. RAS également de ce côté. Méline et Suzanne étaient pourtant les deux meilleures commères du village. Rien ni personne ne pouvait échapper à leurs radars conjugués. Sur ce point, elles étaient catégoriques : aucune cliente correspondant au signalement donné par Alan n’était entrée ou sortie du magasin ce matin-là.

Alan repartit bredouille et très perturbé. Il n’eût même pas la force de faire ses courses comme prévu. Dans la voiture, il alluma l’auto-radio. Aux informations, un journaliste rappelait l’histoire de l’Amoco Cadiz, ce pétrolier, supertanker libérien, qui était venu s’échouer sur les côtes bretonnes en mars 1978, quarante-trois ans plus tôt. Ce naufrage avait déclenché une des pires catastrophes écologiques de l’histoire. 220.000 tonnes de pétrole brut étaient venu souiller 400 km du littoral français. Un des intervenants eût ce mot étrange : « C’est comme si vous aviez pris une jolie sirène et l’aviez trempée dans un bain d’encre de sèche » !

 

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