JUMELLES TRANSGENRES

À  DEUX,  C’EST  MIEUX.

Elles s’appellent Mayla et Sofia, sont originaires de Tapira, une petite localité rurale située dans l’État de Minas Gerais, au sud-est du Brésil, et ne cessent d’être sollicitées par les médias depuis une quinzaine de jours. La raison de cet intérêt soudain à l’égard de ces deux jumelles de 19 ans ? Elles viennent de naître une seconde fois, grâce à une opération de réassignation sexuelle quasi-simultanée (lors des mêmes 24 heures), effectuée par la même équipe chirurgicale, en date des 13 et 14 février derniers. Un cas de figure insolite, a priori unique au monde.

La double intervention a eu lieu dans une nouvelle clinique brésilienne, qui a acquis une solide réputation en un temps record. Fondé en 2015 dans la ville de Blumenau, à 450 km au sud de Sao Paolo, le Transgender Center Brazil a d’abord attiré une clientèle exclusivement étrangère, qui avait les moyens de s’offrir des opérations et des soins très onéreux. La donne a légèrement changé ces deux dernières années. « La plupart de nos patients viennent encore d’Europe et des États-Unis, mais environ 30% sont d’ici », précise le docteur José Carlos Martins, qui dirige le centre et s’est entouré d’une équipe triée sur le volet. C’est lui qui a opéré Sofia et Mayla. Il incarne une nouvelle génération de chirurgiens spécialisés dans ce domaine et fait rêver des centaines, voire des milliers, de jeunes transsexuels. Dernièrement, il a publié un livre intitulé “Transgeneros” et sous-titré “Les orientations médicales pour une transition en toute sécurité”, qui n’a fait qu’accroître son succès… et l’engouement pour sa clinique. Cet établissement privé propose le nec plus ultra en matière de transition mtf ou ftm (du masculin au féminin ou du féminin au masculin) : traitements hormonaux, opérations chirurgicales (réassignation sexuelle, esthétisme facial, prothèses…), orthodontie, orthophonie, suivi médical, accompagnement psychologique… On a l’impression de pénétrer dans le Disneyland de la transformation, de visiter le pays merveilleux de la métamorphose en tous genres. Tout devient possible, moyennant finance.

Mayla et Sofia n’ont pas eu trop de problèmes de ce côté-là. Issues d’une famille aisée, elles ont bénéficié d’un soutien affectif sans failles. Et des avantages matériels qui vont avec. Leur grand-père paternel a vendu une de ses propriétés pour financer leur opération : 100.000 réais, soit environ 15.000 euros. Leur mère a toujours été à leurs côtés pour affronter toutes les épreuves de la vie et les accompagner dans toutes les étapes de leur transition : « J’ai toujours su, au fond de mon cœur, qu’elle étaient des filles et qu’elles souffraient. Quand elles ont assumé leur identité sexuelle, cela a été un véritable soulagement. Pour moi, ce n’a jamais été “eux”, mais “elles”. Je m’en veux encore de ne pas leur avoir acheté les poupées ou les robes qui les auraient rendues plus heureuses quand elles étaient petites. » Le dilemme était quotidien. Les deux enfants avaient exprimé très tôt leur féminité, qui ne faisait aucun doute et qui était acceptée par le cercle familial. Mais la menace venait de l’extérieur. Lorsque l’on est assigné garçon à la naissance, et que l’on est convaincu très tôt d’appartenir à l’autre genre, il faut savoir naviguer à contre courant sans trop faire de vagues, du moins au début. Contredire l’état civil, puis lutter contre la société n’est jamais chose aisée. Se lancer dans la bataille dès l’école primaire comporte certains risques. On comprend aisément l’inquiétude et les craintes de la maman quant aux réactions agressives qu’auraient pu susciter des signes extérieurs de féminité (poupées, robes, etc…) précocement affichés. « Nos parents n’avaient pas peur de ce que nous étions, mais ils craignaient que la société nous maltraite », souligne Mayla.

Dans leur parcours de combattantes, Mayla et Sofia ont toutefois bénéficié d’un double avantage primordial : le soutien inconditionnel d’une famille aimante et la force de pouvoir faire front à deux une fois hors du cercle familial. On connait les liens qui unissent et motivent les jumeaux en toutes circonstances. Dans un parcours transidentitaire commun, c’est un atout capital. Cela n’a évidemment pas éliminé toutes les agressions, verbales et physiques, morales et sexuelles, mais, au bout du compte, les deux sœurs s’en sont plutôt bien sorties. Sofia fait des études d’ingénieur à Sao Paulo et Mayla des études de médecine en Argentine. Elles ne vivent donc plus ensemble et leurs retrouvailles dans la clinique où elles ont été opérées (durant cinq heures chacune) n’en furent que plus émouvantes. Très croyantes, elles ont à nouveau prié ensemble et pleuré ensemble, mais cette fois avec des larmes de joie.

« Nous ne nous sommes jamais identifiées à des hommes », insistent-elles « Nous avons toujours fait les choses ensemble et nous avons réalisé notre rêve en ayant cette opération ensemble, et en devenant les deux premières jumelles transgenres au monde à avoir vécu cela ». Elles savourent ces instants uniques, tout en étant conscientes du chemin qui reste à parcourir. Comme beaucoup de pays d’Amérique du sud, le Brésil n’est guère bienveillant vis à vis des transgenres. C’est même tout le contraire. En 2020, on y a recensé 175 meurtres de personnes trans, soit un assassinat tous les deux jours ! L’Antra (Association Nationale des Travestis et Transsexuels) pointe une augmentation très inquiétante de 41 % par rapport à l’année précédente. Tout le paradoxe d’une nation transphobe, qui, dans le même temps, permet l’émergence d’établissements tels que le Transgender Center Brazil du docteur Martins.

Bien des prières seront encore nécessaires. Et peut-être des sacrifices aussi.  Désormais, Mayla et Sofia vont s’engager sur une nouvelle voie, en sachant qu’autour d’elles il y aura parfois davantage de pavés que de bonnes intentions.  « Je suis fière d’être une femme trans, même si j’ai souvent eu peur à cause de la façon dont nous sommes vues par la société. Tout ce qu’on demande, c’est du respect », dit l’une. L’autre se souvient d’images anciennes, comme lorsqu’on se retourne sur le chemin parcouru, avec la satisfaction d’avoir franchi un cap : « Je me suis toujours sentie femme, et ce dès l’âge de trois ans. Quand je devais faire un vœu en soufflant une bougie, ou lorsque je récitais ma prière avant de m’endormir le soir, je faisais toujours le même souhait. Je demandais à Dieu de me transformer en petite fille ».

One thought on “JUMELLES TRANSGENRES

  1. Je suis vraiment très heureuse pour elle, nous européens pouvons nous aller se faire opérer dans cette clinique, j’aimerais bien avoir l’adresse. Merci.

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