BREAK SPLASH GORILLA DANCE

VORTEX ANTHROPOÏDE

 


Certains chantent sous la douche, lui danse dans son bain. Zola est un magnifique mâle de 14 ans, pensionnaire du zoo de Dallas, aux USA. C’est un gorille des plaines de l’Ouest, une sous-espèce qui demeure, comme toutes les autres, en danger d’extinction à cause du braconnage et de la destruction de leur habitat naturel (Angola, Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine). Au cours des vingt dernières années, leur population a diminué de moitié. Si l’homme est un prédateur pour l’homme, il est devenu un exterminateur pour les grands singes. Et particulièrement pour les gorilles qui sont, après les bonobos et les chimpanzés, les êtres vivants les plus proches de nous du point de vue génétique : 98 % à 99 % de leur ADN est identique à l’ADN humain.

Au delà de l’ADN, qui est déjà beaucoup, navigue un mystère bien supérieur. Comment, outre notre existence, se déterminent nos différences ? Je ne parle pas de différences physiques ou sociales, ni même morales ou psychologiques, que toute société peine à admettre à partir du moment où elles ne correspondent pas à la norme, à la loi du plus grand nombre. Comment un être humain, x ou y, échappe-t-il à la statistique ? Par quel calcul ou hasard, selon quelle formule ou impulsion devient-il une identité remarquable ? Qu’est-ce qui fait un Fred Astaire, un Rudolf Noureev ou un Michael Jackson ? Quelle alchimie décide de Confucius, Socrate, Copernic, De Vinci, Shakespeare, Mozart, Einstein ?

Parmi les siens, le gorille Zola pose la même question. Il illustre le même mystère, la même équation. Son numéro de derviche tourneur aquatique interpelle autant par son originalité que par sa grâce. Curieux mélange d’énergie, de fantaisie, de gaieté, de singularité, cette véritable chorégraphie montre autre chose qu’une simple danse. Elle transmet quelque chose qui vient de lui et de lui seul : une sorte de “cœurégraphie” qui nous émeut et nous intrigue. On la découvre avec étonnement. On cherche le trucage image. Il n’y en a pas. On l’observe à nouveau. On la sait particulière et on la sent personnelle. Selon les spécialistes, l’eau incite les gorilles à développer leurs instincts. On imagine aisément vers quel domaine artistique sont orientés ceux de Zola, d’autant qu’il n’en est pas à son coup d’essai.


Plus jeune, alors qu’il résidait au zoo de Calgary, au Canada, il s’était déjà illustré par une technique de break dance assez époustouflante. Postée en 2011, une première vidéo avait aussitôt affolé les compteurs, dépassant rapidement les 4 millions de vues sur internet. Là non plus, aucun trucage de l’image. Une bande son a simplement été ajoutée pour accentuer un incroyable sens du rythme et de l’improvisation. Une petite touche d’humour s’invite à la fête par la même occasion, mais il n’est pas sûr qu’elle ne dépende que de la musique. Visiblement, Zola ne fait pas partie des individus les plus tristes de sa génération. L’élément aquatique (sol détrempé) a sans doute joué un rôle déclencheur ici aussi, mais c’est bien le primate qui mène la danse.

Comme tous les grands artistes, ce gorille incroyable est à l’initiative du mouvement. Il donne l’élan. Il déclenche l’impulsion et laisse le soin de conclure aux autres, spectateurs ou acteurs. Preuve en est l’engouement qu’a provoqué les vidéos mises en ligne par le zoo de Dallas. Sarabande sur les réseaux sociaux. Les internautes s’en sont rapidement inspirés et emparés. Ils ont remixés les voltes du gorille sur des musiques entrainantes (Stayin’ Alive des Bee Gees, Fame d’Irene Cara, etc…) et principalement sur le tube Maniac, ayant immortalisé une séquence culte du film Flashdance. Tout fonctionne à la perfection. Musiques et images se répondent et twistent de concert. La greffe prend instantanément, mais d’une certaine manière, elle amène les hommes à singer les sensations du gorille.

Sensations vraiment, ou plutôt sentiments ? Le bassin circulaire dans lequel tourbillonne Zola rappelle les piscines pour enfants. Sa façon de danser et de jouer avec l’eau a quelque chose de puéril en même temps que sa stature et sa musculature dégagent une impression de puissance phénoménale. Ce paradoxe transfigure la scène. Un éclat inhabituel change la nature -on peut aussi parler de caractère- de l’action et de l’acteur. Il ne s’agit plus d’un primate ; c’est une personne qui évolue devant nous. Une personne d’un autre genre, qui mélange les genres.

Le zoo de Dallas (il mérite davantage l’appellation de parc animalier) est très soucieux des conditions de vie et de l’évolution de ses sociétaires. Des programmes de stimulations physiques et mentales y sont développés depuis des années pour encourager et renforcer leurs comportements naturels. Des modifications de leur environnent, comme avec cette piscine, y sont associées dans le même but. On se rapproche d’un naturalisme cher à un autre Zola. Mais ici, point d’assommoir. Juste un gorille de nature joueuse, qui expérimente ses intuitions et grandit en modulant son hymne à la joie. Certains prétendront que ce n’est qu’un animal et qu’il ne sait pas ce qu’il fait. Laissons les tourner en rond dans leur étroitesse d’esprit. On n’apprend pas les sentiments aux bêtes humaines.


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