RINGO STARR OCTOGÉNAIRE !

UNE  STAR  DE  80  BALAIS  !

En 1962, lorsqu’il a rejoint les Beatles, Ringo Starr était le plus âgé des quatre garçons dans le vent qui allaient déclencher une tempête musicale sans précédent sur tous les continents. En 2020, au moment de souffler ses 80 bougies, il en est toujours le doyen, animé de la même flamme qu’à ses débuts. Sans en avoir l’air, parmi les plus grandes stars, Ringo est même devenu l’un des derniers survivants d’une autre époque. Pourtant, le début de son histoire est loin de débuter en fanfare. Vraiment pas de quoi fredonner I Feel Fine.

Richard Starkey naît le 7 juillet 1940 dans un quartier modeste de Liverpool, dont les tristes maisons de briques rouges se blottissent les unes contre les autres pour former des rues austères, corons frileux sur lesquels plane une implacable morosité. Un mois plus tard, les bombardements de la Luftwaffe accentuent l’angoisse et l’accablement de la population. Son père abandonne le foyer alors qu’il a à peine trois ans. Sa mère se débrouille comme elle peut avec des petits boulots de serveuse ou femme de ménage. Ses grands parents prennent le relai pour l’élever chichement mais avec amour. À six ans et demi une méchante péritonite le plonge dans un coma dramatique : «  Quand on m’a endormi pour l’opération, on m’a dit : « Tu auras une tasse de thé dès que tu sortiras de la salle d’opération. » Je n’ai eu ma tasse de thé que dix semaines plus tard, parce qu’il m’a fallu tout ce temps pour revenir à moi ! Trois fois, on a dit à ma mère que je ne passerais pas la nuit. » Après huit mois d’hôpital, il retourne à Saint-Silas, une école anglicane où il gagne le surnom de Lazare. Quelques années plus tard, c’est une pleurésie qui le frappe brutalement et l’expédie un an dans un sanatorium déprimant. Comme si cela ne suffisait pas, de sérieuses allergies alimentaires accentuent sa fragilité et minent son adolescence. Conséquence prévisible, l’accumulation des retards et échecs scolaires le prive du certificat d’études et lui interdit l’accession à la grammar school, l’équivalent de notre collège ou lycée. « J’étais bloqué dans une classe, toujours dernier. Je n’ai pas appris à lire avant l’âge de neuf ans. Je sais lire, mais je ne sais pas orthographier ; j’orthographie phonétiquement »…

À toute chose malheur est bon, dit le proverbe. Il fallait tout de même une bonne dose d’optimisme pour se tirer d’une telle ornière. Le petit Richard décide de combattre l’adversité tambour battant. Il improvise des percussions avec tout ce qui lui tombe sous la main. Les longs mois durant lesquels il est cloué au lit deviennent ses premières sessions d’entraînement : « C’est là que j’ai vraiment commencé à jouer. Je ne désirais rien d’autre, des tambours, c’est la seule chose que je voulais. » La batterie cinq toms et triple cymbale n’est pas pour tout de suite mais il progresse rapidement. Dès seize ans, il enchaîne les petits boulots : garçon de courses, employé sur un ferry, apprenti mécanicien, ouvrier en usine… Le soir, il va voir des groupes de rock jouer dans des clubs mal famés. La fête est souvent gâchée par des bagarres violentes entre Teddy Boys, hybride anglais du zazou et du blouson noir. Un autre genre de musique, d’influence jazz, country et blues déferle alors sur Liverpool : le skiffle. Il est temps de former un groupe avec des copains de la même trempe et de prendre un nom de scène qui percute. Richie Starkey devient Ringo Starr : Ringo pour sa passion pour les westerns et les bagues (ring en anglais) et Starr pour faire sonner l’ensemble avec plus de clinquant. Le groupe s’appelle Rory Storm and the Hurricanes et part jouer dans les quartiers chauds de Hambourg en octobre 1960. Un autre groupe de Liverpool y fait ses classes. Il vient de changer son nom de Silver Beetles en The Beatles. C’est la première rencontre entre John, Paul, George et Ringo.

De 1960 à 1962, The Beatles ont un batteur qui se nomme Pete Best, mais qui n’est pas le meilleur. George Martin, le producteur qui les accompagnera de 1962 à 1970, remarque tout de suite ses faiblesses. Avant de leur faire signer leur premier contrat d’enregistrement, il prend les trois autres Beatles à part et leur annonce : « Je ne suis pas content du tout de votre batteur. Envisageriez-vous d’en changer ? ». C’est le coup de grâce pour Pete Best qui cumulait déjà plusieurs inconvénients : un jeu peu stable (en tout cas moins fiable que Ringo), un dilettantisme (ou une passion moindre pour la musique), des absences répétées lors d’engagements ou répétitions, un look différent (refusant la coupe Beatles, il avait conservé les cheveux bouclés dans un style Elvis), une complicité moins marquée avec les autres membres du groupe et peut-être aussi, de manière indirecte, un conflit d’intérêt avec Brian Epstein, le manager des Beatles, car la mère de Pete gérait encore certaines affaires des Beatles, qui avaient débuté et longtemps joué dans son établissement : The Cavern. Mi-août 1962, Ringo Starr saute dans le bon wagon et Pete Best est débarqué de la plus grande aventure musicale du vingtième siècle. Après une tentative de suicide en 1965, il abandonne la musique pour devenir boulanger puis entre à l’agence pour l’emploi de Liverpool en tant que responsable d’un programme qui aide les gens à se réorienter après avoir perdu leur travail. En 1995, l’album Anthology 1 des Beatles regroupe une dizaine de morceaux où on peut l’entendre jouer… ce qui lui assurera un joli pactole en remerciement, selon ses propres termes, “pour services rendus dans le passé”.

Ringo Starr fait partie des Beatles depuis à peine un mois qu’il va avoir la plus grande frayeur de sa vie. Le 11 septembre 1962, le groupe se rend dans les studios EMI d’Abbey Road afin d’enregistrer son tout premier single Love Me Do. C’est le grand jour dont ils ont tous rêvé, mais pour Ringo, le rêve devient vite cauchemar. En arrivant, il découvre que George Martin a convoqué un autre batteur professionnel nommé Andy White. Le producteur a-t-il été échaudé par le cas Pete Best ? A-t-il voulu jouer la sécurité, une sorte de plan B, au cas où Ringo serait lui aussi défaillant ? Finalement, la prise de Ringo Starr sera conservée mais cette méfiance à son égard laissera une cicatrice indélébile : « Ça m’a porté un coup terrible que George Martin ne me fasse pas confiance. Il s’est excusé à maintes reprises depuis, ce bon vieux George, mais ça m’a anéanti — je l’ai haï, le salaud, pendant des années, et je ne l’ai jamais lâché avec ça ! ».

Si Ringo ne peut rivaliser avec les trois autres Beatles en matière de composition musicale, il va apporter une contribution essentielle dans l’épopée fantastique des Fab Four. Dernier arrivé dans le groupe, il va être le premier à le cimenter par un relationnel positif et un humour bien particulier. Il donne l’impression d’avoir toujours été là et désamorce les situations conflictuelles avant même qu’elles n’apparaissent. Toujours de bonne humeur, il joue souvent d’une autodérision qui le rend instantanément sympathique, au sein du groupe comme à l’extérieur. À un journaliste américain qui lui demande « Que pensez-vous de Beethoven ? », il répond « J’aime beaucoup ses poèmes ! ». À un deuxième qui l’interroge : « Comment avez-vous trouvé l’Amérique ? », il rétorque « En tournant à gauche après le Groenland ». Autre question : « Ringo ; êtes-vous un mod ou un rocker ? », réponse : « Personnellement, je suis un mocker ». Ou encore : « Pourquoi mettez-vous autant de bagues à vos doigts ? » « Parce que je ne peux pas les mettre ailleurs ». Et enfin : « Je ne vais plus rien dire. Personne ne me croit quand je parle. »
Parfois, il invente des expressions singulières qui deviennent fameuses. Au sortir d’une session de studio interminable, il s’exclame : « It’s been a hard day »… et s’apercevant qu’il fait déjà nuit, ajoute dans la foulée «‘s night». A Hard Day’s Night deviendra le titre à succès de la chanson et du film éponyme. «Tomorrow Never Knows» est également de son cru, tout comme ce vers de Yellow Submarine : « Everyone of us has all we need » (chacun de nous a tout ce dont nous avons besoin). John Lennon donne un nom à ces accidents de langage, mi-poétiques, mi-humoristiques. Il les appelle des ringoïsmes. Ils font partie du personnage et alimentent une source d’inspiration commune.

De même, son jeu de batteur soutient celui de ses trois compères sans jamais vouloir tirer la couverture à lui. Il est entièrement au service des autres et, contrairement à ce que certains pisse-vinaigre prétendent, il est une composante primordiale du son Beatles. De nombreux batteurs de renom lui ont rendu hommage en soulignant l’apport de son style unique de gaucher contraint à jouer sur un kit pour droitier. Cela l’a certainement handicapé dans certains domaines, comme les roulement de toms, mais cela lui a aussi permis de trouver des astuces et des innovations bien à lui. Phil Collins lui fit un des plus beaux compliments qui soient : « Les enchaînements de A Day in the Life sont extrêmement complexes. Prenez un grand batteur actuel et demandez lui je le veux comme ça, il ne saura pas quoi faire ». George Martin a toujours souligné son feeling fantastique et sa capacité exceptionnelle à tenir le bon tempo. Mark Lewisohn, le plus gand spécialiste mondial des Beatles confirme la fiabilité et la cohérence du jeu de Ringo : « Il n’y a guère qu’une douzaine de fois, en huit années d’enregistrement et d’innombrables sessions à Abbey Road, où les erreurs provoquant l’arrêt de la bande et l’obligation de recommencer ont été de son fait. L’immense majorité des prises stoppées l’ont été du fait d’erreurs des trois autres membres du groupe ». John Lennon, à qui on avait demandé si Ringo était le meilleur batteur au monde et qui avait répondu qu’il n’était pas sûr que Ringo soit le meilleur batteur des Beatles, avait précisé plus tard que c’était de l’humour. Au lendemain du célèbre rooftop concert (la dernière prestation des Beatles sur le toit de l’immeuble d’Apple à Londres), il lui avait envoyé une carte postale  avec cette phrase : « tu es le plus grand batteur du monde, vraiment ». En septembre 1980, peu avant son assassinat,  il avait déclaré : « Ringo était une star de plein droit à Liverpool, avant même que nous nous rencontrions. C’était un batteur professionnel qui jouait, se produisait, et avait son Ringo Starr-time dans un des meilleurs groupes de Liverpool. Par conséquent, les talents de Ringo auraient fait surface d’une façon ou d’une autre. Je ne sais pas comment il aurait fini, mais quoi qu’il en soit, il a en lui cette étincelle que nous connaissons tous mais sur laquelle nous n’avons jamais mis le doigt, que ce soit jouer la comédie, de la batterie ou chanter, je ne sais pas, mais il y a quelque chose en lui qui lui aurait permis de faire surface avec ou sans les Beatles ». Cela rejoint l’impression laissée à George Harrison par Octopus Garden, l’une des rares chansons des Beatles signées Ringo Starr, à laquelle il attribuait une dimension cachée : « Bien que Ringo ne connaisse que trois accords au piano, il compose des chansons cosmiques sans vraiment s’en apercevoir »…

Peut-être en va-t-il de même de ses interprétations, servies par une voix au registre certes limité, mais reconnaissable entre mille. Ringo Starr n’a chanté qu’une petite douzaine de chansons sur les 230 ou 240 présentes dans les albums des Beatles. Au début, il s’agissait surtout de reprises de standards tels que Boys, Matchbox, Honey Don’t ou Act Naturally. Deux seulement sont écrites de sa main : Don’t Pass Me By et Octopus’s Garden. Les autres sont des offrandes de ses potes qui le poussaient à interpréter une chanson par album. Parmi elles, I Wanna Be Your Man, reprise par les Rolling Stones, What Goes On, co-signée Lennon/McCartney/Starr et Good Night qui conclue l’album blanc. Cette dernière (écrite pour son fils Julian par John Lennon au moment de son divorce) laisse une impression étrange. À la première écoute, on se demande à quoi rime cette berceuse. Sans connaître le contexte, on se dit que ça va être une drôle de guimauve et que ça ne cadre pas vraiment avec les Beatles. Et puis Ringo arrive. Il la balance avec une douceur déconcertante, nous borde dans son voyage sentimental. Et ça passe ! Pour un peu, on se croirait à Noël. Au chapitre des cadeaux qui comptent, With a Little Help From My Friends se pose là. Reprise par Joe Cocker au festival de Woodstock, elle demeure l’une des interprétations phares de Ringo Starr. Et la chanson des Beatles la plus connue dans le monde ? Quand on pose cette question, on pense souvent à des titres comme Let it be, Hey Jude, Yesterday, Help et autres Come Together, chantés par John Lennon ou Paul McCartney. Que nenni. Avec plus de 200 reprises et des traductions à la pelle, c’est une chanson qui plaît autant aux enfants qu’aux grands parents, en passant par tous les autres. Il s’agit de Yellow Submarine, seule face A d’un single des Beatles interprétée par Ringo ! Revanche ou clin d’œil du destin pour un éternel gamin qui a toujours voulu voguer sur ses rêves. L’enregistrement lui même, effectué le 26 mai 1966 à Abbey Road, fut digne d’un des plus beaux chahuts de collégiens en délire, John Lennon faisant des bulles avec une paille dans un seau d’eau, Paul McCartney braillant des exclamations du style « À toute berzingue, Monsieur Bosun ! », Brian Jones, des Rolling Stones, tintinabulant sur un verre, Donovan et Mariane Faithful pourchassant des effets sonores aussi frénétiques qu’improbables. La joyeuse bande termina la séance par un défilé en fanfare dans les couloirs du studio, sous les regards effarés des techniciens. Cet épisode surréaliste n’aurait certainement pas pu avoir lieu si George Martin, immobilisé par une intoxication alimentaire, avait été présent. Finalement, Yellow Submarine, dans son enthousiasme optimiste, ses paroles débridées et son joyeux tintamarre, est représentatif des valeurs que Ringo a toujours privilégié : l’amitié, l’amour, la joie, la solidarité, la générosité. Aux plus sombres heures de la séparation, et même après, il incarnera l’indéfectible lien qui a uni les Beatles entre eux et avec leur public. Ses albums solos furent souvent l’occasion de retrouver sur le même support les noms, les participations et les compositions des quatre copains les plus célèbres… jusqu’à la disparition de John Lennon en 1980 en celle de George Harrison en 2001.

Depuis, d’autres compagnons de route ont quitté le navire. Aujourd’hui, le nouvel octogénaire ne craint pas de regarder en arrière, ni de se projeter en avant. Comme tout artiste il a connu une traversée du désert. Divorce, alcool, dérives dans la jet-set, échecs commerciaux ; de 1977 à 1987, plus rien n’allait. Il a remonté la pente à son rythme. Cure de désintoxication en 1988, formation du All-Starr Band avec lequel il a repris les concerts dès 1989… les années noires appartiennent désormais au passé. Il s’est remarié avec Barbara Bach, mannequin et actrice américaine, ex-James Bond girl avec laquelle il file le parfait amour depuis vingt ans. Vingt, comme quatre fois vingt en 2020. Vingt, c’est également le nombre des albums solo qui jalonnent sa trajectoire post-Beatles. Crédité de 25 films en tant qu’acteur, il assume sans trembler le rôle d’arrière grand-père dans la vraie vie, tandis que son premier fils Zak, poursuit une brillante carrière de batteur, officiant, entre autres, avec les Who et Oasis.

Impliqué dans plusieurs œuvres de charité en faveur de la paix dans le monde, la lutte contre le racisme, l’assainissement de l’eau, l’aide au personnel hospitalier, aux musiciens en difficulté et aux jeunes défavorisés, Ringo Starr n’avait pas hésité à vendre aux enchères des objets cultes en 2015, notamment sa fameuse batterie Ludwig Oyster Black Pearl de 1963 (adjugée 1 .870.000 euros), une guitare Rickenbacker de 1964 offerte par John Lennon (adjugée à 810.000 euros) et la copie numérotée 0000001 de l’Album Blanc (adjugée à 690.000 euros). Au total, les enchères avaient rapporté près de 8,3 millions d’euros. Preuve que Ringo Starr et les Beatles n’ont rien perdu de leur cote. Cette année, Ringo a décidé de profiter de son anniversaire pour faire un appel aux dons durant la retransmission d’un grand show virtuel. Mis en ligne sur internet durant cette nuit du 7 au 8 juillet, il est consultable gratuitement en cliquant sur le visuel ci-dessous. Fidèle à une habitude de longue date, les doigts affichant le V de la victoire, Ringo Starr y égrène sans modération le leitmotiv de toute une vie : Peace and Love.  Dans cet exercice, tout autre que lui paraitrait un peu ridicule, voire ringard au possible. Mais, encore une fois, avec lui, ça passe. Sans doute parce qu’il est sincère et que, à l’instar de la musique, son message est universel. All you need is love. Peace and love, love, love…


 


 

 

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