LE JOUR OÙ LA JOCONDE A DISPARU !

AOÛT  ET  OUT

« C’est au mois d’août qu’on met les bouts, qu’on fait les fous, les gros matous, les sapajous… » prétend la chanson de Pierre Perret. Le lundi 21 août 1911, la Joconde fit sien ce refrain en quittant subrepticement le Louvre. Elle disparut ni vue ni connue, en dépit de sa notoriété planétaire. Elle prit des vacances, de très longues vacances, puisqu’elle ne fut retrouvée que deux ans plus tard, à Florence, en Italie. Elle réintégra le musée du Louvre et ne fut à nouveau accessible au public qu’à partir du 4 janvier 1914…

Mais reprenons les choses dans l’ordre. Le 22 août 1911, de bon matin, le peintre Louis Béroud et le graveur Frédéric Laguillermie arpentent tous deux les allées du Louvre. Pour leurs travaux respectifs, ils doivent réaliser copie de la Joconde. Arrivés à l’endroit où est exposé le tableau, ils découvrent un pan de mur nu ! Ne subsistent que les quatre crochets qui maintenaient en place le chef d’œuvre de Léonard de Vinci. Une plaisanterie ? Ce n’est pas le genre de la maison et, en 1911, on est encore loin des émissions télévisées du genre Surprise sur prise ! Les premiers instants de stupéfaction passés, les gardiens sont alertés. Une explication plausible est avancée : la toile a dû être transférée dans l’atelier du photographe officiel, la société Braun & Cie, qui dispose de locaux dans l’enceinte même du musée. La vérification est vite faite. Négatif. Personne n’a demandé un quelconque transfert et personne n’est au courant de ce qui a bien pu se passer. Il faut se rendre à l’évidence : on a volé la Joconde !

Louis Béroud                     Frédéric Laguillermie

Branle bas de combat au Quai des Orfèvres. La Sureté parisienne débarque en force au musée. Le personnel est atterré, le conservateur hagard. Une soixantaine d’inspecteurs investissent les lieux et la police bloque tous les accès. On ne tarde pas à retrouver le cadre Renaissance italienne et la boîte vitrée qui protégeaient le tableau. Ils ont été abandonnés dans un petit escalier qui mène cour Visconti. Mais aucune trace de la toile elle-même. Rapidement alertée, la presse donne un retentissement exceptionnel à cette disparition. Les questions fusent. Les réponses tardent. On a bien détecté une empreinte digitale sur la vitre de protection abandonnée, mais elle ne correspond à aucun des 257 employés et ouvriers contrôlés. Les heures, les jours passent et les enquêteurs pataugent. Les rares pistes envisagées s’évanouissent les unes après les autres. Le directeur du Louvre doit démissionner.

Soudain, on se souvient que quelques années plus tôt, un aventurier belge nommé Gery Pieret avait volé des statuettes et des masques phéniciens exposés au Louvre. L’écrivain Guillaume Appolinaire, qui l’avait employé comme secrétaire et qui avait eu le malheur de déclarer publiquement qu’il fallait bruler le Louvre, est inculpé. Emprisonné plusieurs jours, il est finalement libéré alors que Pieret, en fuite, affirme être le voleur et demande une rançon de 150.00 francs or pour la restitution du tableau. Pablo Picasso, qui avait acheté au même Pieret des masques et statuettes volés, est soupçonné à son tour. Longuement interrogé, il finit par être lui aussi relâché. Une ribambelle de mythomanes revendique le larcin le plus médiatique du siècle. Parmi eux, l’écrivain italien Gabriele D’Annunzio brouille encore un peu plus des présomptions déjà ténues. Les chansonniers, caricaturistes et humoristes s’en donnent à cœur joie mais plus le temps passe et plus les amateurs d’art redoutent un destin funeste pour la Joconde. Pris de panique, le voleur a pu détruire ou cacher l’ouvrage dans un endroit et des conditions propices à sa détérioration.

Vincenzo Perrugia


Une année s’écoule, puis deux, puis… le 10 décembre 1913, le coup de théâtre tant espéré se produit : le voleur est enfin arrêté et la Joconde retrouvée ! Il s’agit de Vincenzo Perrugia, un vitrier italien qui avait participé aux travaux de protection des œuvres exposées au Louvre. À l’époque, la police l’avait interrogé parmi les autres employés du musée, mais n’avait pas vérifié plus à fond son alibi. Le 21 août 1911, profitant de la fermeture du musée, il avait simplement décroché le tableau puis s’était débarrassé de son encadrement dans un escalier avant de s’éclipser par le quai du Louvre. La toile était alors dissimulée sous sa blouse de travail. Il avait ensuite tranquillement regagné son domicile, un appartement vétuste dans un immeuble décrépit du dixième arrondissement, non loin de l’hôpital Saint Louis. Et après ? Après, plus rien pendant plus de deux ans. Durant tout ce temps, Mona Lisa s’est fait la malle dans le double fond d’une vulgaire valoche de prolo, planquée sous un lit avachi. Elle a finalement quitté la France pour un retour dans sa patrie d’origine, 28 mois après sa disparition. Perrugia avait décidé de la vendre à un antiquaire florentin afin qu’elle demeure en Italie, pays qu’elle n’aurait jamais du quitter. Il était persuadé que Napoléon avait volé le tableau. Il ignorait que c’était Léonard de Vinci lui même qui l’avait vendu à François 1er dès 1518.

Plus illuminé que malhonnête, Vincenzo Perrugia est condamné à une peine d’un an de prison (il ne fera que sept mois) tandis que la Joconde, telle une rock star, entame une tournée triomphale d’expositions en Italie. Elle réintègre le Louvre début janvier 1914, mais en août de la même année, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Pour sa sécurité, Mona Lisa émigre à Bordeaux, puis à Toulouse, avec une grande partie des collections du musée. Elle revient à Paris une fois l’armistice signé, mais en août-septembre 1938, rebelote. La seconde guerre mondiale menace. La Joconde quitte à nouveau le Louvre pour une escapade de quelques mois. On croit le retour au calme imminent et le tableau reprend sa place. Le 25 août 1939, Jacques Jaujard, directeur des musées nationaux, comprend que le pire est à venir et fait fermer le Louvre. Il organise l’évasion de la Joconde vers le château de Chambord, puis celui d’Amboise, puis l’abbaye de Loc-Dieu, le musée Ingres de Montauban, à nouveau Chambord, le château de Montal en Quercy. Elle poursuit son périple dans plusieurs demeures anonymes du Lot et des Causses avant de revenir définitivement au Louvre en juin 1945.

Dans les années 1960/1970, la Joconde s’offre encore quelques séjours mémorables, notamment aux USA, au Japon et en Russie, à l’occasion de grandes expositions internationales. En 2017, le musée du Louvre a accueilli 8,1 millions de visiteurs, dont plus de la moitié venait uniquement pour voir Mona Lisa. Dorénavant, trop fragile et trop difficile à protéger contre certaines agressions imprévisibles, la Joconde ne voyage plus, surtout en été. Cela n’empêche pas quelques frayeurs, comme cette touriste russe qui, en 2009, décida de lui lancer sa tasse de thé à la figure. Fort heureusement, la vitre blindée joua parfaitement son rôle de protection. Cela se passa le dimanche 2 août. La Joconde en sourit encore.

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