CRISTIANO RONABDO

HULKISSIME

Ce mercredi soir 11 avril 2018, en quarts de finale de la Ligue des Champions, se disputait le match retour Real Madrid – Juventus de Turin.  À l’aller, une semaine plutôt, les Madrilènes avaient sèchement battu les Turinois chez eux sur le score de 3 à 0. Inutile de préciser que pour ce second acte, sur leur pelouse de Santiago Bernabeu, les Espagnols étaient donnés ultra-favoris. Les bookmakers et les statisticiens du ballon rond n’accordaient aux Italiens qu’une aumône de 3 % de chances de qualification pour le tour suivant. Même avec le soutien du pape, il aurait fallu un miracle pour inverser la tendance. C’est pourtant ce qui a bien failli se passer au bout d’un match incroyable !

1-0 pour la Juve après deux minutes de jeu seulement, 2-0 à la 37ème minute puis 3-0 à la 60ème… le Real Madrid, méconnaissable et de plus en plus crispé, vivait un scénario cauchemardesque. Les supporters ibériques en avaient perdu la voix. Tous voyaient déjà se profiler le spectre des prolongations fatidiques et d’une honteuse estocade lorsqu’un pénalty providentiel tomba du ciel et du sifflet arbitral de monsieur Michael Oliver, qui dans la foulée, expulsa le gardien de but italien pour contestation. Encensée par les uns, vilipendée pour les autres (éternel débat partisan), cette double sanction mit fin à l’affolant suspens de la soirée. Cristiano Ronaldo, l’avant-centre madrilène, se fit un plaisir de crucifier le gardien remplaçant de la Juve. Un joueur de classe aurait eu le triomphe modeste tant les merengue (surnom des joueurs du Real qui évoluent en blanc) étaient passés près de la déconfiture. Au lieu de ça, notre Ronabdo 1er nous gratifia d’une pièce montée musculaire aussi outrancière que déplacée, courant se défrusquer le poitrail toutes mandibules déployées. Cela fit aussitôt remonter à ma mémoire une ribambelle de séquences analogues, et plus spécialement des images vieilles d’à peine deux ans.



Samedi samedi 28 mai 2016, en terre milanaise, la finale de la Ligue des Champions opposait l’Atlético Madrid au Real Madrid. Mon amie Carmen, une Andalouse au sang chaud, avait viré son mec pour la soirée. En tant que supporter acharné du PSG, il risquait par trop de l’énerver au moindre commentaire déplacé et elle n’avait pas envie de décrocher la paire de banderilles accrochée au mur, juste sous la tête de taureau empaillée, pour les planter en plein cœur de son chéri adorado, ma non troppo. Elle avait passé l’après-midi à préparer une délicieuse paella pour tromper son impatience et m’avait invitée à partager ce succulent événement télévisé pour deux raisons : nos connivences footballistiques et notre intolérance au pectoral CR7.

CR7, c’est Cristiano Ronaldo, numéro 7 et serial buteur du Real Madrid. Un beau joueur, incontestablement efficace tout au long d’une saison, mais objectivement insupportable dans son exhibitionnisme récurrent et sa façon d’en rajouter, y compris lors de prestations personnelles plus que moyennes. L’été 2014 à Lisbonne, en finale de cette même Ligue des Champions, qui déjà, opposait les deux clubs madrilènes, il avait été loin d’être brillant. À la fin du temps réglementaire, l’Atlético menait 1 à 0 et les supporters du Real n’en menaient pas large. Un but égalisateur inespéré, et in extremis, de Sergio Ramos dans les ultimes arrêts de jeu arracha le droit de disputer des prolongations qui tournèrent à l’avantage du Real, finalement vainqueur sur le score de 4-1. Le dernier but fut marqué par Cristiano Ronaldo. Un penalty qui n’avait plus grande importance à ce moment de la partie, mais qui mit notre plastronneur patenté dans tous ses états, se précipitant à l’angle du terrain pour éructer sa joie torse poil, avec une indécence le disputant au ridicule.


Répétons-le, il n’y avait vraiment pas de quoi pavoiser et le spectacle qu’il livra tous abdos saillants s’avéra très déplacé. Par le passé, il avait déjà effectué ce genre d’exhibition en toute impunité, devant des millions de téléspectateurs, alors que la même prestation réalisée par n’importe quel quidam dans n’importe quel autre lieu public serait tombée sous le coup de la loi. Je me souviens d’une pause taurine qui avait mis Rosa, une amie lisboète, dans tous ses états. Elle avait fantasmé le footballeur en hardeur bodybuildé agrippant une partenaire de levrette imaginaire…


Du coup, Cristiano Ronaldo était devenu son idole. Elle s’était appliquée à traquer les photos et les articles le concernant. Sa récolte fut d’ailleurs plus fructueuse dans les magazines people que dans les journaux sportifs. Elle ne mit pas longtemps à acquérir une collection impressionnante de documents iconographiques, y compris des posters dignes de Playgirl, dont elle tapissa les murs de sa chambre. Détail révélateur, le beau Portugais y paradait souvent allongé et alangui, dans la même débauche de contractions abdominales que sur le terrain, à la fin des matches. Déformation professionnelle ou information obsessionnelle ?

À l’inverse de Rosa, Carmen avait fini par développer une aversion anti-Ronaldo. «Trop c’est trop ! » me confirmait-elle en apportant la paella sur la table basse. Elle ajouta en levant les yeux au ciel : « Santa Maria, por favor, faites que Monsieur Hulk en crampons n’ait pas une nouvelle occasion de se pavaner en monokini ce soir ! ». Je fis une moue dubitative et lui rappelai que Bonabdo avait récidivé en slip kangourou un mois plus tôt. Le Real avait alors battu le Barça lors d’un classico toujours très médiatique. Carmen me fusilla du regard. « Ah Brigitte, tu vas pas commencer à remuer le verdugo dans la plaie ! Tu crois que je l’ai pas vu, en slibard dans les vestiaires ! Ça, pour être content, il avait l’air très content ! Et ce pauvre Marcelo qui était accroupi devant lui… pour un peu, il la lui mettait dans l’oreille ! Je ne crois pas que Geovanna, ta copine brésilienne, aurait apprécié. » Je n’avais pas pensé à cela au départ, mais maintenant qu’elle me le disait, il est vrai que le latéral gauche brésilien avait pris un gros risque auditif ce jour là.

Et si Cristiano Gonado était victime d’un dérèglement hormonal ? Après tout, et nous sommes bien placées pour le savoir, cela n’est pas si rare, ni si dramatique, dans une population donnée, qu’elle soit mâle ou femelle. À partir du moment où ce déséquilibre est traité selon le bon protocole, il n’y a pas lieu de s’en inquiéter. Je fis part de cette hypothèse à Carmen. Sa réponse fut cinglante : « Ah oui mais non ! Là, on part de trop loin. Avec Ronnie les belles côtelettes, on n’est plus dans le curatif. Le mal est profond. Récemment, j’ai jeté un coup d’œil sur ses images internet et je peux te dire que c’est presque plus grave quand il reste habillé ! Il a une tendance maladive à la Jacksonnite aiguë de la main gauche quand il ne cède pas à l’arrogance pelvienne de mauvais goût en nous proposant le W de la victoire inversé. » La Jacksonnite aiguë de la main gauche, j’avais compris, mais j’avoue que le W inversé de la victoire me laissait perplexe. Carmen éclaira ma lanterne en appelant Google images à la rescousse. Effectivement, couché sur le dos ou campé debout, Ronaldo développe une attitude très évocatrice. Le fameux W retourné de la victoire en est renversant de vérité.

La paella mitonnée par Carmen était savoureuse. Ce ne fut pas le cas de la première mi-temps de cette finale hispano-espagnole. Le même Sergio Ramos qui avait sauvé le Real deux ans plus tôt crucifia l’Atlético d’un but frauduleux dans le premier quart d’heure. Entame d’autant plus cruelle que ce but était hors-jeu, mais bon, tant que la vidéo ne portera pas l’estocade aux injustices récurrentes du football, on pataugera toujours dans les mêmes corridas de comptoir après-match. L’Atlético se réveilla en seconde mi-temps et se permit le luxe de manquer un penalty par Antoine Griezmann, notre petit Français qui montait. Il fit trembler la barre transversale au lieu des filets mais son copain Yannick Carrasco égalisa un peu plus tard, concluant une magnifique action de jeu, tout à fait valable celle-là, à la 79ème minute. Un partout à la fin du match. Les prolongations allaient-elles être décisives ? Cristiano Ronaldo ne l’avait pas été durant ces 90 minutes. Le ballon avait semblé le fuir toute la partie. Il faut dire que le Portugais lui infligeait régulièrement de sérieuses brimades, et pas qu’avec les pieds. Toujours cette relation ambigüe au corporel et ses déformations suggestives…

En attendant, nous passâmes tranquillement, Carmen et moi, au dessert : une délectable cuajada ! Ce dessert lacté espagnol est un pur régal. Préparé avec du lait caillé de brebis, nappé de miel liquide, il échappe à l’acidité du yaourt classique et fond sur la langue en inondant le palais d’une onctuosité indicible. Saupoudrée de quelques éclats de noix pour le contraste doux/amer et croquant/crémeux, la cuajada vous fait tout oublier, y compris les 30 minutes de prolongations qui n’apportèrent rien de neuf dans cette rencontre fratricide. Il fallut donc en venir à l’épreuve fatidique des tirs au but. Un quintette de tireurs majeurs devait être désigné de chaque côté. C’était un peu mieux que le pile ou face mais ça revenait au même. CR7 serait dans les cinq du Real, c’était certain. Aucun entraîneur au monde n’aurait pu s’en priver. Cristiano Ronaldo a toujours été chouchouté par ses coaches. De Ferguson à Ancelotti en passant par Mourinho, les images peuvent en témoigner.

Il fallut choisir un but pour exécuter la sanction. Ce fut celui du côté des supporters du Real. Avertissement du destin ? Les six premiers tirs firent mouche : 3-3 et un suspens maximal. Le quatrième tir de l’Atlético s’écrasa à la base du poteau droit. Si le cinquième et dernier frappeur du Real venait à marquer, la cause était entendue. Et qui s’avança alors jusqu’au point de penalty ? Cristiano Ronaldo !

Le regard arrimé à l’écran, Carmen se mit à torsader sa serviette à la manière d’un garrot sous Franco. J’en profitai pour éloigner subrepticement fourchettes et couteaux et vérifiai qu’aucun objet contondant ne demeurât à sa portée. Un coup d’œil discret au mur derrière moi ; la paire de banderilles semblait solidement accrochée à la paroi, sous le mufle poilu et le front aux longues cornes. Un instant, le toro bravo me renvoya un regard mi-narquois mi-compatissant. L’attaquant madrilène s’élança. Il fouetta le ballon du droit pour le ficher côté gauche du cadre, hors de portée du gardien. Instantanément, Ronabdominaux fit valser son maillot et s’élança dans une course frénétique. Carmen me sidéra. Stoïque, elle se leva, prit la direction de la cuisine avec ce seul commentaire : « Je vais me calmer avec le lave-vaisselle. Appelle-moi quand l’autre gogo-dancer aura terminé son strip tease ! » Si vous connaissiez Carmen, vous auriez été aussi estomaqué que je le fus. Carmen est native de Grenade et ce n’est rien de le dire… J’ai donc sagement attendu que CR7 termine son show chaud, tétons au vent puis allongé sur le dos. Vous imaginez l’équivalent dans le football féminin ? J’ai attendu quelques minutes supplémentaires, me méfiant d’une énième récidive. On vous l’a dit, le bougre est coutumier du fait. Lorsque la remise de la coupe aux grandes oreilles fut éminente, je rappelai Carmen. Elle réapparut, majestueuse et magnanime, un léger raccord de gloss sur les lèvres. « Tu as vu ? J’ai fait des progrès. Trois mois de yoga, et déjà ce petit Portos ne parvient plus à me faire dégoupiller ». J’ai acquiescé. Respect Carmencita.

Nous avons terminé la soirée à la manzanita, servie dans des petits verres givrés. Nous n’avons plus parlé de Cristiano, de ses bras en croix, de ses jambes en W et de son torse bombé. Vers une heure du matin, j’ai pris congé de ma charmante hôtesse. Juste avant le retour de son bien-aimé exilé, j’ai bisé Carmen et suis sortie griller une menthol en attendant mon taxi. Ce fut une magnifique Seat Cordoba rouge qui me rapatria a casa. Sous le rétroviseur intérieur, se dandinait un fanion du PSG. L’autoradio débitait les commentaires d’après-match de journalistes sportifs peu inspirés. Pléonasme. Je demandai au conducteur ce qu’il pensait de Cristiano Ronaldo. « Un excellent joueur et un super buteur. Mais un sacré frimeur ! Zidane veut le garder au Real, mais ça serait pas mal qu’il débarque au PSG. Laurent Blanc l’avait bien compris, et pour les supporters parisiens, ça serait le top. C’est un footballeur très fédérateur, vous savez… »

« Ah bon ? lui répondis-je… J’avais pas remarqué. »

 

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